Cette photo d'Elisabeth m'a toujours émue.
A ce jour, elle reste l'une de mes préferées. Une photo de dos, une entrée. Je ne saurai jamais où elle fut prise, si elle était d'accord pour qu'on la photographie, ce qui expliquerait, dans le monde des Songes, pourquoi elle ne s'est pas retournée, pourquoi elle aurait attendu, l'espace d'un battement de coeur, que le photographe accomplisse sa mission. Elle s'est peut-être retournée après, pour dire un mot à celui qui la scrute par le prisme de son appareil... "Allez-vous en, ici je dois être seule".
Taille si fine, taille juvénile. De dos, on ne saura jamais son âge... cette taille jette le doute. Le temps n'aura pas d'emprise sur sa silhouette, jamais. Sans âge éternellement. Sa main gantée est posée à l'entrée. Entre cette main et l'attitude de son corps, j'ai toujours hésité. Etait-elle lasse? J'imagine qu'elle a un peu couru, peut-être avait-elle le souffle court, on l'a toujours quand on est amie de Lady Nicotine. Ou bien était-elle respectueuse de l'endroit qu'elle pénétrait, osant seulement un rapide coup d'oeil dans cet intérieur? Y avait-il un silence à ne pas briser? J'aime que l'endroit dans lequel elle va bientôt pénétrer me soit à jamais inconnu. Et cela n'a pas d'importance.
Je peux rêver à loisir sur cette entrée si sombre, si froide, si vide.
Rêver sur cette photo qui me rappelle la solitude. Il y a beaucoup de choses en ce monde où nous serons seuls à jamais. Il y a des endroits où l'on doit pénétrer seul. Il y a des choses que l'on doit accomplir seul. Il y a des émotions qui ne seront partagées qu'avec nous-même, dans cet endroit flou entre le coeur et l'ombre. Elisabeth le savait mieux que quiconque.
Elisabeth, ma chère Elisabeth, me semble se lancer seule et d'elle-même dans une gueule de Loup. Qu'est-ce qui l'attend, là derrière, dans l'obscurité angoissante? Ses songes terrifiants peut-être, et sa hantise de l'enfermement, ses démons... où va-t-elle, et pourquoi cette hésitation? Je crois l'entendre rire.
Cette image d'un instant de vie me semble être comme un aller sans retour. Toi qui pénètres ici, abandonne tout espoir. Peut-être cette sensation étrange que je ressens, quand je regarde trop longtemps ce carré d'obscurité, est un peu de peur. Entrer là provoque des émois particuliers. Seul celui qui y est dejà entré le sait. Elle hésitera toujours devant cette entrée, cette Bocca Negra, et peut-être cela ne la touchera pas plus que ça, peut-être choisit-elle d'elle-même l'obscurité à la lumière. On a tous hésité, quand on arrive à ce carrefour.
A l'exterieur, dans les rayons de soleil que je crois puissants, il y a des rires d'enfants et des aboyements, le hénissement d'un cheval ou la présence d'un être aimé, le son d'un violoncelle. Peut-être une main amie se tend comme une offrande. Alors, on hésite. On ne sait pas si on fait le bon choix. Mais, là-bas, il y a peut-être des mélodies plus belles, des âmes depuis longtemps parties, des tempêtes, la pluie qui fouette le visage, des sensations qui mordent la chair et des mouettes hurlant à l'infini. Et finalement, on entre, sans un regard en arrière.
Il y aura de la mélancolie et le coeur au bord des lèvres, mais aussi de la joie. Il y aura une forêt, et un saule-pleureur sous lequel s'assoir. On fermera les yeux et il y aura quelque chose pour soigner les bleus à l'âme. Peut-être qu'un jour, on reviendra à cette lumière. Mais pas tout de suite. En attendant, on se ressource à la rivière enchantée. On ouvre ses bras à la pluie. Et puis, il y a cette fée, là, qui vole au-dessus. Elle irradie. Le jour venu, elle montrera le chemin du retour. Et cette beauté, on pourra la voir ailleurs, dans ce monde, elle sera dans le soleil qui se couche à l'horizon, et dans ces bruits qu'on entend dans la forêt, et dans cette mer en furie qui se jette contre le rocher, et dans les sourires de quelques êtres, et dans l'enfant, cet autre nous, qui se promène à côté, et qui plus rapide que nous, et qui nous fait signe d'aller plus vite et on le suit un peu essouflé et en riant, ce rire ou se perd, parfois, un sanglot. Mais le fil, cadeau d'Ariane, est là, bien là, et on ne le perdra jamais plus, qu'importe la chute et ce qu'on y laisse. Peu importe, après, ce qu'en diront les autres, ceux qui sont toujours restés à la lumière, ceux qui n'ont jamais franchi le seuil de cet ailleurs. Peut-être que se perdre est nécessaire. Peut-être que les fantômes sont éternels.
Mieux vaut avoir des ailes, et être aussi vibrant qu'une corde de cythare.
Je sais qu'Elisabeth a franchi le seuil. Je ne peux qu'imaginer, par ce que je connais d'elle, ce qu'elle y a vu. Quand l'obscurité l'aura engloutie, il ne restera que le mystère de son absence.
11 commentaires:
Oh, je suis ravie de la voir de retour ! Je remarque alors que vos modifications ont touché la fin... qu'importe, celle-ci est aussi belle que la précédente. J'aime beaucoup ce que vous avez écrit. Inventer une histoire à une photo, déjà poétique... vous la sublimez. Je ne suis pas douée pour exprimer ce que je ressens, mais ce texte trouve écho en moi. Je suis heureuse d'avoir découvert cet endroit, on s'y sent bien...
Cette histoire n'est pas inventée!
Quant à la fin,elle avait été "baclée" par manque de temps.Et parfois,il faut se retirer un peu plus longtemps en soi.Peu de choses ont changés,l'essence reste la même.
Heureuse que ce modeste endroit vous plaise.
Je suis désolée, je pensais que ce texte était un voyage imaginaire à partir de la photo... Qu'importe ! Cela ne change rien au résultat, vos mots sont bien là...
Merci Fauna pour toute cette beauté.
C'est la 4e fois que je lis ce billet.
Tu as raison, à ce moment précis, on ne voit pas tous la même chose...
Aurélie,vous avez raison.C'est bien un voyage.Mais pas une invention.Je ne sais pas si je suis très claire et j'en suis désolée.
Merci Holly,parceque tu es là.Je suis sûre que ce que tu y vois est superbe,et plus beau que pour la plupart des gens.
mince mon dernier commentaire à disparu dans les limbes du net...je disais juste en substance que j'aimais...forcément...et que je m'interrogeais sur de mysterieuse "roses" ;o)
Lmousmé,par une erreur de "manipulation",j'ai refusé ton dernier commentaire au lieu de le publier.1000 pardons.
Alors pour le billet dont tu parles,je vais le remettre ,mais le jour de l'anniversaire de Sophie,en février.C'est un peu bête,mais ça me plait comme ça!
Au contraire ma chère Fauna c'est une très bonne idée que de publier à la date anniversaire ;o)
j'ai hate de le lire!!!
C'est moi qui te remercie pour tes mots qui me vont droit au coeur mon cher ami!Je suis heureuse qu'il t'apporte un petit quelque chose.Merci d'être là.
"Il y a beaucoup de choses en ce monde où nous serons seuls à jamais.Il y a des endroits où l'on doit penetrer seul.Il y a des choses que l'on doit accomplir seul.Il y a des émotions qui ne seront partagées qu'avec nous-même,dans cet endroit flou entre le coeur et l'ombre." Rien n'est plus juste, et tes mots résonnent en moi intimement. Merci pour ce texte déchirant et superbe. Bonne journée.
Merci Gaëlle de tes gentils mots!
Bonne journée à toi egalement,ainsi que les journées suivantes...
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