Je viens de voir passer un vélo.
Epatant,non ? (dirait Desproges.)
Ce vélo, ce petit garçon, et la posture de ce petit garçon me rappelle une gloire ancienne, quand je découvris l'ivresse de l'auto-destruction sur la selle d'un vélo.
Les autres enfants avaient applaudis la petite fille que j'étais pour sa folie. Ou sa bêtise.
Je ne sais pas vraiment ce qui m'est passé par la tête. Peut-être que tous les enfants ont cette pulsion qu'il est de bon ton pour les adultes d'appeler absurde.
Ce n'etait même pas une preuve d'originalité, ma mère ayant fait bien mieux dans le genre, en attrapant un drap et en sautant par la fenêtre pour voir si elle allait voler.
Je ne pouvais le faire puisqu'il n'y avait pas d'étages.
Et de toute façon, à quoi bon ?
Je pris mon vélo bleu et j'allais sur la plus haute pente, là ou j'habitais, dans cette espèce de cité militaire américaine perdue dans les bois. La fille d'un militaire ne pleure jamais, dit-on. Elle ne dit jamais un mot en trop. Mais la fille de militaire sur son vélo, allait avoir son heure de gloire. Les fameuses 15 minutes d'Andy Warhol, pour elle seule.
La pulsion était trop forte.
La petite fille prit son vélo et se posta sur cette pente. Une très grande pente. De là, elle domine le monde. Les gens, plus bas, beaucoup plus bas, se démènent. Ils sont tout petits. Ils ressemblent à des fourmis. Vite vite, sortir les courses de la voiture...
La petite fille se met en position, celle qu'elle préfère, debout sur les pédales, sur la pointe des pieds, la ballerine vélocycliste, avec moins de grâce. La sensation d'étirements dans les cuisses, baisser la tête comme le taureau prêt à ruer sur le torero, voilà ce qu'elle aimait.
Et la petite fille prit tout son appui sur ses cuisses, n'eut qu'à donner un léger coup de pied sur le sol pour prendre son envol. Car c'était bien un envol, l'un des plus beaux, l'un des plus fiers de toute l'histoire du vélo.
Le vélo glissa, car il ne roulait plus, il glissait, fou et sans aucune limite. Une longue descente. Je crois que la petite fille riait. La tête dans le vent, on sait enfin ce que ressentent les oiseaux. Le vent siffle dans les oreilles. C'est un moment en apesanteur. On n'existe plus, le corps n'est rien et on l'oublie, on est sur le dos de Pegase ou Bucéphale, on est là-haut, et on pense aux anges.
Jusqu'à l'arrivée de l'ennemi. Le Diable, une voiture rouge et agressive. Il en faut toujours un pour détruire le beau. Le vélo rencontra la voiture, bien sûr. Face-à-face brutal. Le taureau ne gagne jamais face à l'ennemi étincelant. Aucun sentiment de peur. La petite fille s'envola au-dessus de son ennemi, et retomba lourdement. Pour ne pas dire bêtement.
Elle se dit que cela aurait dû se passer autrement. Même si elle savait que, de toute façon, cette sortie était l'une des possibilités, elle y avait pensé. Mais quand même, ça manquait de beauté. Ca n'était pas à la hauteur de ce qu'elle avait donné.
Pégase et Bucéphale décèderent sur le coup. Les 15 minutes de gloire, l'incandescence et la joie ultime de la petite fille prirent fin, et elle ne pleura pas.
La fille d'un militaire ne pleure jamais.
1 commentaire:
Fauna, si tu publies un roman un jour, ce sera quelque chose !
Ton texte me rappelle mon enfance.
Merci. Je n'en dis pas plus, je ne peux pas.
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