Ce lapin blanc est venu m'inviter à une Mad Tea Party. Ma première Mad Tea Party fut quand j'eu un peu plus de dix ans. Je crois que les choses qui arrivent quand on a "un peu plus de dix ans" sont parmi les plus importantes.
Ce lapin blanc, je le connais bien.
Tous les vendredis depuis mes "un peu plus de dix ans", il vient toquer à la porte.
Parfois, il emprunte le chemin secret qui mène à mon coeur. Autour de lui, une faune colorée et la bienveillance éternelle de quelques belles âmes, très peu nombreuses, les âmes de quelques écrivains, poètes, muses, rois et impératrices. Il y a des fées, ces fées un peu malicieuses, de celles qui tirent l'oreille du chien quand il a le dos tourné.
Pas étonnant, ensuite que celui-ci se mette à courir et aboyer. Il fait la chasse à la fée. C'est qu'il lui arracherait bien une aile, à cette insolente.
Il y a des êtres de bois, certains semblent tout juste sortis de l'arbre qui les abritent. Il y a là des Korrigans, et des Lutins, tous ceux que j'ai rencontrés il y a un siècle ou plus, me semble-t-il, sur la Terre bretonne de mon enfance et des mes ancêtres. Je les avais rencontrés au détour d'un chemin de terre, là ou il y a ce vieux muret de grosses pierres grises, près de la falaise.
Il parait que Morgane la Fée y eut une entrevue avec le Roi Arthur.
Il y a une lettre des Sirènes qui n'ont pu faire le voyage. Leurs chants m'arrivent aux oreilles. Elles ne sont pas loin. L'une d'elle se mire dans le miroir qu'elle vient de trouver dans un bateau echoué sur la plage. La mer ne pardonne pas même aux marins et pirates bretons. Il y a un petit garçon que je devine vieux, mais qui n'en a pas l'apparence. Il me demande si je peux laisser la fenêtre ouverte. Il a, dit-il, des choses importantes à faire, et le thé, ce n'est qu'une histoire de filles. Il reviendra quand certains se seront assoupis, quand les ombres commenceront à jouer sur le mur.
Les fées volettent. Elles s'approchent de la bougie. Elles sont toujours intriguées par cette chose qu'elles ne peuvent attraper sans avoir mal. Des siècles qu'elles jouent à ce jeu. Qui attrapera la flamme? Le rire des fées peut être envahissant. Il emplit la tête comme des gouttes de rosées. Le lapin blanc, qui se félicitait à voix haute il y a encore quelques secondes de ne pas être en retard cette fois, demande un peu de calme, on n'entend plus la Femme à la Harpe qui joue, des fleurs dans les cheveux, dans le coin à gauche. Tout ça n'est pas très poli , dit la belle Lucy Westenra, assise sur un fauteuil et contemplant une peinture.
"J'ai inspiré cette femme,ou je fus créee d'après ses traits", dit-elle en se tournant vers un groupe d'enfants qui ne comprennent pas très bien ce qu'elle essaye de dire. En grandes pompes arrivent Titania et Obéron. Les suivent Mustardseed et Moth, et Bottom aux yeux tristes qui offre des fleurs à qui veut bien les recevoir. Puck s'assoit sur une chaise et demande un roulé à la canelle. Il a un faible pour ces gâteaux. Il y a quelques princesses. Elles regardent d'un oeil mauvais les Sorcières qui se sont invitées. "C'est la faute de Jacob et Willhem, si on est si mal vues", deplorent-elles. Il y a Achille au Pied Leger. Il regrette de paraître deplacé dans cette noble assemblée, mais peu importe lui répond Orlando, aujourd'hui habillée de velours noir, une cigarette à la main. On a toujours besoin d'un homme en armure, d'un chevalier, surtout quand il sent si bon la terre de Grèce, des pins et l'insoumission. Tant qu'il ne se met pas en colère, tout ira bien, dit le Chat Botté en goûtant son thé à la bergamote. Il admire une oeuvre de Gustave Doré qui le représente. On devine, sous ses poils gris, qu'il rougit.
"Un grand artiste", miaule-t-il avec un hochement de tête.
Un violoniste mince, à la chevelure de feu et au regard doux demande s'il peut jouer un air. C'est au son de ce violon que surgit le Grand Dieu Pan. Son rire inquiétant fait s'éteindre quelques bougies, les fées s'enfuient dans l'horloge. De là-haut, elles observent. Pan a tendance à prendre tout le monde dans ses bras, surtout ceux qui lui semblent tristes. Est-ce par amitié ou veut-il autre chose? Il est notoire qu'il faut un peu, juste un peu, se méfier. Il aperçoit une flûte qu'un petit garçon a oublié en s'envolant par la fenêtre. Il la prend et raconte que c'est lui qui l'a créee, un soir de mélancolie. Ou à l'Aube, il ne sait plus. Il y a tellement longtemps. Les Bêtes cornues passent le plus souvent d'une grande euphorie à une tristesse terrassante. Puck aquiesce. Il joue, je souris, quelques oiseaux se postent à la fenêtre. Certains se mettent à valser. Des loups arrivent, menés par le Grand Méchant Loup aux allures de dandy.
Ils se sont fait un devoir de l'annoncer. Avec eux, une jeune fille à la chevelure brune et emmelée, fière et triste dans sa longue robe pourpre. Elle m'envoie les amitiés de sa famille et joue avec la casquette d'un marin flegmatique. La fête est belle. Aucune ne l'égalera jamais.
Pas même dans 100 ans. C'est ce que me dit un ourson qui renverse sa tasse sur le tapis. Pas facile de boire du thé avec élégance avec des pattes d'ours. Le Lièvre de Mars et un renard à monocle demandent bientôt s'ils peuvent chanter un air qu'ils viennent d'inventer, tandis qu'un bébé d'eau se plaint qu'il ne peut atteindre la théière.
Il y a un brouhaha, une effervescence palpable dans ce maelström flamboyant. Il y a des rires, des cris, un louveteau tient à se plaindre de l'attitude d'un Korrigan qui n'arrête plus de l'ennuyer, plusieurs voix demandent si elles peuvent avoir une nouvelle tasse de thé s'il vous plait, pendant que l'on parle des ces hommes insoumis qui ont le mieux peint ce monde particulier, et de ceux qui en ont écrit des pages et des pages, et que d'autres reviennent par la fenêtre, et de tant et tant d'autres choses que cela ressemble à la Tour de Babel, et les voix montent, et montent jusqu'au ciel, où les Anges et les âmes des Souffleurs de Vie se mettent à rire devant tant de douce folie. Cela s'amplifie, et c'est comme un coeur qui gonfle, qui gonfle, qui s'enflamme. C'est un feu comme ceux de Beltane. Et c'est beau, si beau que les larmes coulent sur les joues et qu'on se sent imbécile avec ce sourire idiot sur les lèvres, et ces frissons dans l'échine et ces lumières dans les yeux. Et quand l'aube pointe le bout de son nez, les respirations se font plus douces, les yeux se ferment tout doucement, on se congratule, on s'embrasse, et quelle merveilleuse nuit c'était...
Et puis, très lentement, ils s'éloignent et il y a de la poussière, là sur la table, sur les chaises, sur le tapis, sur l'horloge. Il n'y a plus qu'à s'endormir, sans bouger de place, la flamme s'eteignant lentement, elle prend toujours son temps, et une voix venue de loin, un peu caverneuse, murmure dans le vent "nous sommes encore là. Nous attendrons, toujours."
7 commentaires:
Fauna, j'imprime d'urgence ce billet.
Je crois d'ailleurs que je vais imprimer tout ton journal.
Tu es merveilleuse.
Quand quelque chose vous prend aux tripes, c'est l'estomac qui part en premier. Tu sais, quand tu as l'impression qu'il va basculer, qu'il a envie de rejoindre ce à quoi tu penses, tout seul, sans demander ton avis, "les papillons dans le ventre" comme disent les préado romantiques. C'est ce qui m'a prit en te lisant. Oh bien sur, quand je suis invitée à ce genre de party, les invités ne sont pas les mêmes...Les fées ne volent pas, les loups sont plus garous que méchants, l'ambassadeur de Grèce est une déesse et il y a plus de guitares tziganes que de harpes. Et quand je ne vois pas la jeune fille brune en robe pourpre, celle qui ne parle guère qu'à Solal Quatorzième des Solal (me demande pas pourquoi), je sais bien qu'elle est avec toi.^^
Je les avais oublié, un peu, ces derniers temps, les tous, les miens. Ceux aussi qui vivent par la faute ( de l'avantage de n'avoir aucune modestie) Envie soudaine de les rejoindre tous. Les lirai-je, les écrirai-je, les jouerai-je? Rah, c'est toujours le même problème.
Je t'embrasse très fort, ma Sophie. En te lisant, comment oublier pourquoi tu es mon amie?
Difficile de parler..d'écrire après ce billet...les larmes aux yeux je relis pour être sur de n'avoir pas révé et je t'envie (oui je sais ce n'est pas beau et je ne suis pas fière!).Nos origines communes nous rapproches je l'ai toujours su. J'aimerais que tu sois ma soeur.
Fauna adore la musique tzigane!Je crois que la harpe n'est pas là au hasard...mais chez moi,il y aurait de la musique qui fait du bruit!Superbe texte,encore.C'est un plaisir de penetrer ton Univers.Tu me donnerais presque envie de faire un blog!!!^^
Vous savez, j'ai eu le temps de lire le texte que vous avez ensuite enlevé... sur la photo d'Elisabeth... J'avais envie de vous laisser un commentaire où je vous aurais parlé de la beauté de vos mots. Comme vous modérez les commentaires, vous n'êtes pas obligée de publier celui-ci. J'espère juste que vous remettrez la "Solitude" en ligne... parce que c'était superbe.
Je l'ai enlevé pour y changer quelques petites choses,j'avais envie de m'y replonger.Ecrire d'une traite n'est pas chose aisée.Ce que j'ecris n'est jamais parfait.Heureusment.Je viens à peine de de le reposter,au moment ou je decouvre ce commentaire.
Merci à vous.
Je serai heureuse d'y être conviée moi aussi.
Nul doute aurions-nous matière à poursuivre nos si plaisantes conversations en dégustant de délicieux macarons ^^ (comment les oublier?)
je t'ambrasse ma Fauna
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