Je crois que la douleur est finalement comme un Diablotin. Sur ma tête et dans ma tête, c'est la fête des Diablotins et des Sorcières, ils ont élus domicile et dansent comme sur le Mont Chauve. Ils invitent beaucoup de monde, et ils s'amusent. Ils crient et ils rient. Evidemment, il n'y a pas une pensée pour leur hôte qui leur demande de se calmer un peu. Dans ma tête, c'est comme quand Pink pète un plomb. La chambre est terrifiante. Il fait noir. Ca fait du bien de se plaindre un peu, tandis que les Diablotins piquent leur trident sur mon visage. J'ai pu les aimer un temps, mais desormais, je les hais. Je ne peux pas dire qu'ils m'indiffère, ce serait faux. J'aimerais bien être indifferente. Je crois que c'est la pire forme d'amour. Ou de non-amour. Je crois qu'écrire sous l'emprise de cette douleur serait bien. Une bonne chose. J'imagine dejà le délire puissant, les mots sans aucun rapports les uns avec les autres, mes Tenèbres personnelles.
Je rigolerais, parceque je me suis souvent aperçue que la douleur me faisait parfois rire. Un peu comme Edgar Allan Poe.
Lénore peut-être. Mon Diable personnel enfonce un tournevis dans l'oeil et hurle "qu'est-ce que tu as dans le ventre, Fauna! Qu'est ce que tu as dans le ventre?".
Pas grand-chose, à l'heure actuelle. Tais-toi, lui dis-je. Je me permettrai bien un geste de colère, comme quand on prend un verre pour le jeter par terre. Chose que je n'ai jamais faite, mais je suis douée au lancer. A l'école, j'etais nulle en sport parcequ'il fallait "jouer" à plusieurs, et j'étais une rebelle, c'est ce qu'on avait marqué sur mon bulletin,"cette enfant n'en fait qu'à sa tête, pourquoi semble-t-elle detachée de tout ?" ."Qu'est ce que tu as dans la tête...?", m'avait dit un prof. J'étais très douée au tir à l'arc, j'avais épaté tout le monde en mettant la flèche là ou on me le disait, malgré mes problèmes de vue, et l'arc c'etait bien, c'etait un plaisir solitaire. Et toujours aussi laconique, je repartais dans les vestiaires. Les gens devaient croire que j'étais bien orgueilleuse. Pourquoi viennent-ils me chercher? Les gens sont comme les Diablotins. Ils viennent toujours vous chercher dans votre retraite, alors que vous n'aspirez qu'à la tranquillité, à la passivité. Ca se trouve, je me serais donnée des baffes si je m'etais rencontrée. Alors oui, il me serait facile de prendre le Diable et de le jeter contre le mur. De lui donner un bon coup de poing. Je ne suis pas adepte de la violence, mais je suis parfois violente. Je repererais à l'instinct un objet avec lequel le frapper malgré ma vue brouillée. Je m'en fous, si tu savais comme je m'en fous, mon instinct est le plus fort. Je suis prête à ça pour que ça s'arrête. Le Diable rigole. C'est impossible, ricane-t-il, impossible. Si ,je peux le faire, j'ai qu'à taper la tête contre le mur. Le Diable reste dubitatif. Tu es encore plus stupide que je ne le pensais .Tu te ferais mal aussi. Il me plaindrait presque. Il se fiche de moi et il le sait. Vous pouvez me frapper, me couper, je ne sentirai rien. Ca vaut pour lui. J'ai envie de lui sortir des gros mots, et des insanités. Ca lui ferait plaisir. Je me lève. Il faut que j'aille vomir. Le Diable m'accompagne, avec toute sa troupe, mais lui est plus grand que les autres. Il m'aide à descendre les escaliers. Je suis ton chevalier servant pour trois jours, et il sourit. Il pose sa main sur une partie de mon visage. Ce serait presque un geste d'amour, si sa main n'etait pas aussi douloureuse au toucher, chaude et froide à la fois, et si dure. Tu cherches quoi ? je lui demande alors que je m'agenouille. Je ne sais pas. Il ne sait pas. Et il est sincère. Juste un peu de douleur, et il hausse les épaules. Sa main me tord le cou. Je ne suis pas un vampire, mais je peux mordre. Je ne cherche pas le sang, mais ta douleur exclusive. Cool, je dis. Dans ma tête, un hurlement. L'impression de me noyer, comme d'habitude. Les eaux sont ouvertes, tu l'as deja dit, ronchonne le Diable. La-haut, dans mon crâne, sur mon visage, j'ai l'impression qu'ils ont tout mis à vif. Ils dechirent mon cerveau, mes muscles. Ils tapent de leurs petits pieds cornus. C'est la sarabande et la tarantelle. Je gage qu'on s'y amuse beaucoup. La peste soit de ma generosité. Je me sens comme Albérich. Je suis seule au bord d'une rivière et je hurle contre tout le monde. Je hurle contre ma douleur. Je hurle contre moi, contre ma capacité à tenir la distance alors que je voudrai tout abandonner, et puis en même temps, je suis fière de moi, et je hurle contre les Diablotins, et Lui qui me regarde en riant. Et puis contre tous les Autres, les Autres dont les noms ne se rappellent pas à mon souvenir, mais je suis sûre que j'ai quelque chose à leur reprocher.Tu ne les verrai pas s'ils étaient à côté de toi, me dit le Diable. Tu marques un point, dis-je en sortant de la rivière. Mais j'aime bien reprocher des choses aux Autres. C'est ma façon de me dedouaner de ma lâcheté. Et c'est entre moi et moi. Ca ne dure jamais bien longtemps. Mon sens de la fidélité est trop puissant. Est-ce de la fidelité? Peu importe. C'est mon délire.
Tu te rappelles cette peinture d'Antoine Je-ne-sais-plus-qui? , je demande au Diable. Antoine qui?, murmure-t-il en esquissant un pas de danse. Antoine Je-sais-plus-qui, je te dis. Il a fait de belles peintures. Il y a la belle Rosine, et je me sens comme elle, nue devant un squelette. Je sais pas qui est le squelette. C'est peut-être moi, si tu continues à me taper. J'aurai plus que le squelette.
Je ris. C'est tellement drôle ce que je dis. C'est pathetique, qu'on me repond. Oui, c'est pathetique, je pense en m'allongeant sur le lit. Je me mets en position foetale. Je ne sais pas si ça va arranger quoi que ce soit. Je m'agite, je sanglote, et pour rien. Et puis, c'est comme ça qu'on va finir. Un squelette, avec une rose dans la bouche et des vers qui grimpent le long de l'épine dorsale. Je crois que c'est Tom Waits qui a dit ça. Ce serait bien si on sortait jouer à La Danse Macabre. Ou comme ces deux squelettes qu'on a retrouvés, et j'ai failli pleurer en les voyant, ces deux squelettes unis à jamais, les mains qui se rejoignent, avec leur orbites vides qui se fixent pour toujours. C'est beau, l'amour, le vrai. Et puis, je n'ai jamais dit que j'étais une championne de l'humour. Le Diable me regarde. Il me carresse la tête. Ou c'est peut-être ma main qui vient de s'y poser. Tes beaux cheveux brillants. Ils sont tout ternes. C'est laid. Tu sais que c'est laid? Oui, je sais. Donne moi un mouchoir pour essuyer la sueur. Je suis sûr que ça pue, qu'il dit. Evidemment. J'ai pas bougé de mon lit depuis deux jours. Forcement, je suis moche et pâle et desarticulée. Mais tu sais, si je n'étais pas seule à cet instant, je me ferai belle pour les Autres. Je leur dois bien ça. Je maquillerai la douleur avec du mascara. Tu ne le ferais pas, grimace-t-il. Pas ton genre.
Il a raison. Je prefère souffrir seule. Quel manque de goût que de se presenter aux Autres avec cette douleur affichée. Il se penche sur moi. Quoi encore? je grogne. Quelqu'un qui m'a beaucoup aimée dans le passé m'avait appelée Petite Louve. Je suppose que c'est du à ma capacité de grogner. Petit être sensible, je protège mon territoire. Et c'est triste, que je ne puisse même pas proteger ma tête. J'ai peut-être le goût du sacrifice derisoire. Evidemment, me dit-il. Et maintenant, restes tranquille, je n'en ai pas fini avec ton oeil. D'accord. J'attends pendant qu'il essaie de sortir l'oeil de l'orbite. Je patiente. Je ne peux rien faire d'autre. Il n'y a qu'à attendre la fin de la fête. Là-haut, ça ricane. Ca danse et ça danse, je suis persuadée qu'il y a une farandole. Ils se prennent tous par la main. Belle fête paganiste. L'un des petits diablotins s'inquiète. Elle ne reagit plus, pourquoi? C'est pas drôle si elle ne fait que pleurer. Je ne pleure pas, je lui dis. Je ne fais qu'attendre. J'aime bien me plaindre. Laisse moi au moins ça. Je mords mon oreiller. Moi qui accueille tous tes rêves, tu pourrais être plus douce, dit-il. Cela est vrai. Que disait John Keats? Brillante étoile, que n'aie-je ta constance... J'aimerais être constante. Constente? dit le Diable. Contente? C'est quoi? Je ne sais pas. Ce mot m'est inconnu, je crois. D'ailleurs, je ne sais même pas l'écrire. C'est pas grave. Mervyn Peake ne savait pas écrire fuchsia. Je revendique mon droit à faire des fautes. Les Diablotins sautent sur place. Fautes fautes fautes fôtes!!!
C'est toujours la faute de quelqu'un. Je vois un rayon de lumière, là, par la fenêtre aux volets clos. Un peu d'espoir. C'est comme quand tu as cette sensation de mourir, comme quand les problèmes semblent insolubles. Il suffit qu'arrive le matin pour te dire qu'il y a encore une chance. Je reprends espoir. Bientôt fini, c'est bientôt fini. Vous pourrez degager, vous tous, quand vous serez si fatigués que vous serez en sueur vous aussi. Vous aurez le souffle court. Rira bien qui rira le dernier. Tu penses à quoi ?, demande le Diable auréolé de lumière. Je pense à me promener. Me promener dans la forêt. Ou faire comme mon frère, prendre un verre d'alcool. Mon frère, c'est Bukowski,tu le savais? Mais il a aussi en lui Hemingway et Branwell. Il me dirait, prends ce verre, ne pense à rien. Je n'ai qu'une envie, vomir. Vomir, c'est laid. Et après, j'irai me promener. Dès que le vent se sera levé. Dès qu'il y aura de la pluie. Dès que les elèments se seront pris par la main pour souffler tout sur leur passage. Ca sera bien. J'ai l'impression d'être abandonnée. Personne ne m'aime assez. Menteuse, dit le Diable. Sale petite menteuse. Nous remets pas tes problèmes d'enfance sous le nez. C'est trop facile. C'est ta faute, tu me rends morbide. Mais le monde est beau, je pense, quand le congrès des Diablotins commence à prendre fin. Ce n'est pas français me dit-il, ce que tu dis là. Ils commencent à bailler. Il y a toujours un retardataire pour squatter un petit endroit, là, sur la joue. Mais je sais d'experience qu'il en aura bientôt assez et qu'il s'envolera, très loin. Le Diable renifle. C'est bientôt fini. C'est toujours trop rapide. Tes yeux sont tout rouges. Tu es toute chiffonée. Comme une poupée. Decidement,je fais ce que je veux avec toi. L'orage se met à gronder. Je passe la main sur le cou, elle est moite. Je sèche mes larmes. Je sens une bonne odeur. Le Diable a du ouvrir la fenêtre. Il a parfois des gestes doux. Parfois. Je m'en vais, me dit-il. Tu as passé l'épreuve. C'est bien. Je souris bêtement. Je me demande s'il va donner rendez-vous à quelqu'un d'autre, que je ne connais pas. Je le reverrai dans un mois, quatre si tout va bien. Je ris , un peu plus fort. J'ai le droit de rire si je suis heureuse, quand c'est enfin fini.S i un medecin passait par là, il me dirait qu'on ne sait pas "regler" ce problème. On n'a pas defini l'origine de ce 'mal'. C'est bête. On y travaille, on y travaille. C'est peut-être votre hypothalamus? Bof. Ce n'est pas si grave. Ce qu'il y a de bien avec la douleur, c'est que quand elle s'en va, on renaît petit à petit, on a comme une brise fraîche sur le visage. C'est tellement bon de sortir du carcan, du flou. Je pense à ceux qui éprouvent de la douleur, en ce moment même. Quelle qu'elle soit. Pour moi, ça va, ça vient. Il faut tenir. On se sent un peu plus fort, après. Un peu plus tranquille. On a passé le cap des trois jours. Je n'ai pas peur. Le vent joue dans les feuilles d'arbres. Je crois que je pourrai mordre dans cette pomme, et en manger plusieurs à la suite. En attendant d'être un squelette avec une rose.J e crois que le soleil n'a jamais autant brillé, en ce début de semaine.
Parcequ'on me l'a demandé,et parceque d'autres en souffrent : http://fr.wikipedia.org/wiki/Algie_vasculaire_de_la_face
9 commentaires:
Merci d'avoir mis un lien.Je comprends mieux,et je crois bien qu'une personne de mon entourage a le meme problème.Dommage que tout cela n'en soit qu'au début.
Et je voulais dire que c'est un très beau texte.J'aime votre façon particulière de nager dans le rêve.
Bien à vous,
Philippe.
Merci de votre compliment.
Oui,il est dommage que l'on ne sache rien de plus sur ce "mal".J'espère que les recherches aboutiront à quelque chose,même si je me rends compte qu'il y a pire.Mais cette douleur est suffisament atroce pour que je croise les doigts,qu'il determinent enfin d'où ça vient,et que l'on puisse la reconnaitre chez d'autres personnes,qui souffrent et à qui on dit "ce n'est qu'une migraine".
Merci à vous.
J'aimerais prendre la moitié de ta douleur pour écrire à moitié aussi bien que toi.
Ton texte est superbe, ma Fauna. Tu as une telle énergie dans la plume, tu déclenches une avalanche d'images et de détours dans les phrases. Comment ne pas succomber ?
Prends soin de toi. J'aimerais arracher ce mal avec mes mains.
Je pense très fort à toi ma Soso...je comprends mieux ton absence de ces derniers temps.Je t'embrasse très fort.Jay.
je ne sais quoi dire devant une telle souffrance ,a part que je prierais les diablotins pour qu'il me donnent un peu de ta douleur pour te laisser souffler qq instants de plus
...
Reste du commentaire plus tard.
Faut que je m'en remette, là.
Ça c'est un texte qui me laisse pantoise et me renverse. J'ai connu des douleurs chroniques insupportables, durant des mois, des années, à se taper la tête contre les murs, s'endormir d'épuisement et les retrouver au réveil... mais jamais je n'aurais pu exprimer ça comme tu le fais, avec cette force, cette lumière qui combat les ténèbres intérieures. Tes mots sont magnifiques et ils disent à merveille quelle personne tu es. Et je te souhaite de tout cœur que cette douleur apprenne à se passer de toi.
Quel texte bouleversant... J'ai connu des douleurs chroniques et insupportables, de celles qui enferment dans une prison pendant des mois, des années, à s'endormir d'épuisement et se les retrouver au réveil, mais JAMAIS je n'aurais pu les écrire avec cette force, cette lumière combattant les ténèbres intérieures. Tes mots sont déchirants et beaux et ils disent à merveille quelle personne tu es. Et je te souhaite de tout cœur que cette douleur apprenne à se passer de toi et que le sortilège soit définitivement brisé.
"Les gens sont comme les Diablotins.Ils viennent toujours vous chercher dans votre retraite,alors que vous n'aspirez qu'à la tranquillité,à la passivité."
J'hallucine encore de la manière dont tu as résumé mon rapport au monde. Exactement ça. Tout ce que j'ai esayé de distiller dans mes texte, et que je n'ai fait que diluer.
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