Hélas, je crois bien avoir presque tout oublié.
L'autoportrait aux yeux hagards de Rembrandt Harmenszoon Van Rijn, que j'aime. L'autoportrait et Rembrandt, que je vois comme, et je ne peux jamais y penser autrement, un ventre affamé. Et cette bouille ronde ! Ce n'est plus un visage, mais bien une gueule, peut-être plus menacante que la rondeur des traits ne le laisserait supposer. Et quel sens du grotesque, cette moue des lèvres... j'y vois l'ombre de Mervyn Peake. Il étudiait cette bouche avide, je le pense, mais l'illusion est si belle qu'il semble qu'il quémanderait presque un baiser. Un baiser d'enfant, lèvres contre lèvres. Peut-être faut-il penser qu'il joue, qu'il se déguise, qu'il s'amuse avec son visage malléable, qu'il s'en amuse, de ce visage. Et puis, il faut plonger le regard dans le sien, et la gourmandise fait place à l'inquiétude. Non, il ne quémande rien, c'est un sifflement joyeux interrompu par son reflet dans le miroir.

Lui.
Arraché de son étude minutieuse, de son théatre intérieur, ce qu'il est, ce qu'il représente. Soudain, il est ce qu'il voit. Moue enfantine, ni beau, ni laid, c'est bien plus que ça, nulle trace d'élégance, de beauté, de délicatesse. Ce qui lui revient en pleine face, c'est ce qu'il est, c'est Rembrandt le Rustre, aux mains tachées de couleurs, issu de la vieille terre hollandaise, d'une famille de paysans et sans éducation. Juste lui, un homme. Giflé, il reçoit sa mortalité en plein visage, il fait face à l'échec et à la peur et à l'angoisse, ventre affamé et la mort n'est pas loin. Terrible découverte, terrible aveu, terrible constat quand on est un papillon de nuit, attiré par ce qui brille. La gravure est dévorée par sa présence, dévorée par cette peur, cette peur qui implose dans la forme des sourcils, tristes. Dans les yeux plus que tout, l'étonnement, la préscience, quelque chose de pire va arriver, doit arriver. Les yeux s'aggrandissent, c'est un sentiment d'horreur. Tourment, vie intérieure. C'est comme parler à son double, à travers le miroir, c'est comme mourir dans ce reflet qui ne connait ni début ni fin.
Alors, dialogue solitaire, en boucle, Rembrandt peint son visage.
2 commentaires:
Vraiment, ma Fauna... ! Je reçois ce texte comme une gifle et c'est agréable d'être ainsi réveillée. Tu écris sans ligne de démarcation. Tu ne penses pas les choses, tu les vis. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui vive aussi intensément son art. La pensée s'écoule dans le verbe sans s'arrêter en elle-même. Je ne sais comment l'exprimer, mais si besoin était ces lignes sont une démonstration majeure de l'univers que tu portes en toi. Je me souviens, tu m'avais parlé de cette gravure.
Tu écris comme on devrait vivre, si on avait davantage de ventre, de courage.
Lire ces quelques lignes magnifique, dont l'inspiration issue d'un puissant volcan passionnel que tu cache probablement derrière ton regard, est un véritable plaisir qui ne peut me laisser indifférent étant donné le lien affectif et très particuliers que me lie à cet homme grâce à toi.
Merci.
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