Ma grand-mère, que j'ai très peu connue, avait peut-être l'oeil en ce qui concerne les peintures.
Un jour, il y a bien longtemps, elle décida d'offrir à chacun de ses petits-enfants un tableau à accrocher au dessus du lit, un tableau qui les représenteraient.
Certains reçurent une jeune fille jouant dans les prés, un petit garçon assis sur l'herbe, des peintures toujours naturalistes baignée du parfum de l'enfance... peut-être, y avait-elle décelé la petite chose qui se rappelait à l'enfant choisi.
Pour ma part, je reçus cette peinture. Je ne savais pas, à l'époque, quelle main l'avait peinte.
Je l'avais trouvée jolie, très jolie.
J'étais fière, en jetant un oeil sur les autres peintures, d'avoir reçu la plus belle, à mes yeux. Elle m'avait paru la plus digne, la moins tranquille, la moins lumineuse.
Elle, la jeune fille, me semblait errer. Elle m'avait envoûtée dès que j'avais posé les yeux sur elle. Mes amours d'enfance étaient le plus souvent des coups de foudre. Il y avait cette sensation de perte. Tu me plais, je suis à toi. Je me suis abandonnée à cette peinture, à la mélancolie de la jeune fille, à ses roses, à la blancheur de sa robe, et à ce lion de pierre qui la regarde, et à ce ciel noir. Il allait bientôt pleuvoir.
Ces tableaux au dessus de nos lits faisaient office d'Ange-gardien.
Non pas que j'en manquais, mais j'avais bien une place en plus pour une jeune fille en fleur qui me plaisait. Après tout, j'avais soufflé beaucoup de moi en elle. Poussez vers la gauche vos armures et vos pattes de bouc, vous, envolez vous un peu plus haut ! La fille au regard triste s'avance...
Un jour, entre promenade dans le froid et lecture intensive, je la regardais. Longuement. J'étais émue. Tout cela me paraissait tellement triste. Je n'avais pas vu que cette jeune fille avait l'air perdu. Je ne savais si elle avait l'air triste, ou juste indifférent. Ou vide. Je n'avais pas vu sa robe un peu déchirée. Bien sûr, j'avais vu une partie de sa poitrine, mais ça me semblait naturel.
Et sa cruche cassée, et ses mains posées sur son sexe, un peu crispées, ces mains qui me semblaient étrangement présentes, vivantes. En colère ? Tout cela, je ne l'avais pas vu.
Ou plutôt, je l'avais vu, et ce mystère m'avait en partie envoutée... mais je n'avais pas regardé.
Ce tableau raconte une histoire.
Comme chez Roald Dahl, quand on lit Sorcières, où l'on nous raconte que certains enfants possédés vivent dans un tableau. Ils vivent des aventures qui nous seront à jamais inconnues. Il nous est permis d'imaginer. Et moi, j'imaginais, un flot initerrompu, pas toujours intéressant, et surtout sans logique. Mes pensées n'ont pas de limites, et ne sont pas polies : elles partent à droite, à gauche, et même en travers les une des autres.
Et j'ai pensé, avec une pointe d'effroi, mon coeur battant fort... cette fille, cet enfant, revient de la forêt. Elle a vu et subi la violence, la rage. Elle parait fantômatique, tellement absente, poupée fragile qui s'est aventuré trop loin. Pour elle, le regard du lion. Pour elle, la pluie qui va bientôt tomber. Elle y a rencontré le Loup. Plus rien ne sera jamais pareil.
La cruche cassée - Jean Baptiste Greuze. 1773.
8 commentaires:
Fauna, un tel billet ne se commente pas.
Il est trop beau, trop puissant.
Je suis fière de te connaître, si fière.
Bon les filles arrétez parce que vous me faites pleurer toutes les deux!
Si je peux me permettre...je vous aime !
J'adore,tout simplement moi aussi,ce texte.
Cette noirceur dans la lumière,je crois que je ne regarderai plus cette oeuvre de la meme manière.
Il est tout simplement magnifique ce texte... j'en suis soufflée. Envoûtée.
"Elle,la jeune fille, me semblait errer.Elle m'avait envoutée dès que j'avais posé les yeux sur elle.Mes amours d'enfance marchaient beaucoup au coup de foudre.Il y avait cette sensation de perte.Tu me plais,je suis à toi.Je me suis abandonnée à cette peinture,à la melancolie de la jeune fille,à ses roses,à la blancheur de sa robe,et à ce lion de pierre qui la regarde,et à ce ciel noir."
Le tableau est ensorcelant et probablement ensorcelé, oui. j'ai toujours crû, moi aussi, que des esprits d'enfants pouvaient vivre enfermés dans leurs portraits... Certains me faisaient peur, d'autres avaient cette mélancolie dont tu parles si bien.
J'aime particulièrement la fin de ton billet.
Merci Fauna pour cette émotion...
Merci encore Gaelle,pour ce très joli message qui me ravit 1000 fois.
Merci pour la meme emotion que vous m'apportez avec vos mots.
Enormément d'émotion dans le texte que tu nous livres à propos de ce tableau.
C'est bouleversant.
J'ai vu aujourd'hui, avec une grande �motion, une reproduction de la peinture dont tu parles. Elle �tait accroch�e au dessus d'une vielle commode, dans un coin sombre d'une brocante. Je l�ai remarqu�e aussit�t et j'ai dit tout haut: mais, ce tableau... Ma soeur m'a demand� si je le connaissais. J'ai r�pondu qu'une amie m'en avait parl�...
Ca devait être une jolie place,dans l'ombre d'une brocante...
Merci pour ce très joli message Jo!
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