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mardi 16 janvier 2007

Pour Andy Kaufman

Andy Kaufman est ce genre de comique indispensable à ma personne. D'ailleurs, il n'est pas vraiment comique. Quand il monte sur scène, ce n'est certainement pas pour vous faire rire. Andy veut des reactions. Si les reactions sont des rires, ça lui va. Si vous vous levez de votre chaise pour hurler que tout cela est intolerable, je crois qu'Andy vous aurait serré la main. Si vous lui aviez mis votre poing sur la figure, il vous aurait serré dans les bras.
Que cela ne nous éloigne pas de ce qu'etait Andy. Un être chaleureux, drôle et courageux. Le rire,il l'aime. Jamais il ne serait monté sur scène , sans cette envie de rire, de tout, de lui, des autres, de l'horreur , même si, disait-il, il n'avait jamais "raconté une blague de sa vie".
Anarchiste de l'humour comme les Marx Brothers, Andy a du vivre 1000 vies. Il se déguise en Elvis Presley, bien avant que ce soit la mode, et Elvis dira d'ailleurs que ce comique-là, dont la voix à la Donald Duck ne ressemble en rien à la sienne, mais dont la gestuelle est copiée avec un mimetisme parfait, que ce comique-là est de loin son favori.
Andy, c'est le rire qui se met en danger. C'est ce rire du desespoir, comme quand il se met à jouer cet homme qui ne sera connu que comme "l'étranger" (et qui deviendra plus tard Latka Gravas dans l'excellente sitcom Taxi. Je ne peux m'empecher de voir dans le personnage de Borat, le meilleur double de Sacha Baron Cohen à ce jour, le digne descendant de Latka), cet homme que l'on devine immigré d'un pays de l'est,gentil, trop gentil, paniqué, désorienté et humilié... parcequ'il ne sait pas jouer. Le public y croit. Parcequ'Andy ne précise rien, ne leur donne pas de manuel. Il vient sur scène tel quel, comme propulsé là d'Europe. Quand "l'etranger" leur dit "I would like to imitate Meester Carter, president of de United States", "l'étranger" prend une inspiration et continue sans changer de voix : "Hello, I'm Meester Carter,president of de United States. Thank you veddy much".
Dès lors, ce n'est pas le rire qui secoue la salle. Des rires, oui. Ceux qui ont l'humour absurde. Les autres, parcequ'ils ne savent pas comment reagir. Mais surtout, c'est la pitié ou la colère qui se propagent dans l'assistance outragée. Et quand l'étranger en question se met à imiter Elvis, il y a des soupirs de soulagement. On a echappé au pire.on a ete bousculés, mais c'est fini. Le dedoublement à l'infini, voila ce qu'Andy sait faire le mieux.

Toujours sur une corde raide, toujours à la limite de tomber. Un jour arrive Tony Clifton. Un homme atroce. Vulgaire, mal élevé, mal habillé, il vient de Las Vegas parait-il. Les journalistes ne tombent pas dans le panneau. Cet homme-là, c'est Andy. Il nie en bloc. Quand les journalistes le démasque, Clifton part en hurlant, en proie à une colère devastatrice (sur un plateau, Clifton n'hésite pas à balancer un peu tout ce qu'il voyait, verres, chaises ou tables).
Quand on demande à Andy de reveler son secret, que Clifton et lui sont une seule et même personne, il nie encore et encore. "Tout le monde croit que c'est moi, se plaint-il. Je crois que Clifton est en train de détruire sa carrière." Il ira même jusqu'à demander aux producteurs de Taxi d'engager pour un episode Mr Clifton. Mais celui-ci, à force de se mettre tout le monde à dos, sera expulsé du studio. Andy en rit encore.
Sur la corde raide toujours. Andy est un grand enfant. Son humour est trop surrealiste, trop dangereux, il va chercher le rire trop loin dans les entrailles. On ne sait pas comment réagir. Il enerve, ne caresse pas dans le bon sens, et ça, c'est diablement agacant. La verité est que Kaufman ne faisait pas de simples allers-retours entre la realité et l'illusion. Il y est de son plein gré,une place à l'année, et plus. Il est dans ce flou, cette sensation persistante d'avoir rêvé. Alors,parcequ'il faut bien donner un nom à tout, on dit qu'il est fou.
Clifton lui, permettait de montrer son coté noir. Son coté adulte, avec son cortège de desespoir, de vulgarité, un peu terrifiant, un peu misanthrope, faisant fi de toutes conventions, n'hésitant pas à se mettre tout le monde à dos, même ses amis (ceux de Kaufman s'entend). Quitte à les voir s'eloigner definitivement. L'irreverence, il la connait mieux que personne, qu'il soit Clifton ou un autre.

Et Latka, l'adorable mecanicien de l'est, qu'on a envie d'aimer, tellement il est maladroit, timide, decalé. Latka,"l'etranger", l'enfant. L'enfant qui vient avec sa gestuelle particulière (bras le long du corps et trottinements en guise de deplacements), son regard etonné (grands yeux ouverts, faussement innocents) et les piques lancées... qu'on pardonne aisement, car c'est l'enfant qui parle, avec cette façon de reculer d'un pas pour eviter de prendre un coup, et il n'y a pas le but de choquer, de terrifier, de faire mal. L'enfant qui tombe toujours de haut, quand il en vient à quelque chose qu'il ne comprend pas, qui le depasse ("Oh boy, America is a tough town..."). De tout cela, il a le droit, il a l'innocence avec lui. Ou pas.
De là, on ne peut que tomber dans l'ambiguité. Voulue par Andy. Evidemment.
"What's is real ? What is not ? That's what I do in my act, test how others people deal with reality."
Drôle d'impression, que d'etre le cobaye d'Andy. Car celui qui tombe dans son piège l'est un peu. Les autres sont-ils aussi doués que lui à se fondre dans le rêve? Peut-être que oui, peut-être que non. Andy ne laisse de chances à personne, pas même celle de souffler l'espace de quelques secondes. Il prend par surprise et n'attend qu'une reaction. Où quand l'humour se fait terroriste. Quand il comprend que l'univers du catch est un sitcom à lui seul, avec ses allures de tragédies grecques pailletées, il decide d'être catcheur. Le plus immonde, bien sûr. Lui ne donnera pas de coups de massue par derrière. Il insultera et s'en prendra aux femmes. Humour deviant encore une fois. En critiquant les femmes, hurlant qu'elles n'ont pas leur place dans ce sport, il se met à dos une bonne partie des feministes. Mais quand il vient sur le ring avec le costume le plus ringard et le moins seyant possible, clamant qu'il donnera volontiers un chèque de 1000$ à la première femme qui montera sur le ring pour le mettre à terre, le vase déborde.Il reussit meme à devenir champion d'une catégorie jusqu'alors inexistante. Et il repart avec une ceinture chez lui, non sans avoir été heureux de catcher avec des femmes. Peut-on trouver du plaisir à catcher avec des femmes, à les attraper, les malmener un peu, et finalement les "couvrir" pour gagner ? Il est evident que oui.
Kaufman est l'homme qui inventa le National Collège Sex Concert Tour. Le but est d'une simplicité parfaite : rencontrer les jeunes filles qui lui ont ecrit, pour pouvoir coucher avec elles dans sa loge. Choquant diront certains. Mais ça reste très drôle. Andy se donne. Quand il reçoit des missives parfumées de jeunes femmes, il leur renvoie une lettre avec un simple "merci", et des pass pour aller dans les backstages. Il ne faut pas se leurrer...la moitié lui écrivent pour ça. C'est le mode operatoire de la groupie. Inscrire à son tableau de chasse un fou furieux comme Andy, voilà qui est noble. Alors, faire du catch avec des femmes sur un ring... il y a un côté animal qui ne devait pas lui deplaire. Plus tard, le catcheur Jerry Lawler, agacé de voir Kaufman "ternir le noble sport qu'est le catch" en s'attaquant à des femmes, lui lance un defi : celui de monter sur le ring, contre lui. Andy accepte. Il va même jusqu'à se filmer au bord d'une piscine, luttant avec une femme plus imposante que lui (qui ne se debattra pas, ça fait parti de l'illusion) , pour montrer ce qu'il sera capable de lui faire sur un ring, l'ami (Bob Zmuda ?) présent etant obligé de l'éloigner de la femme qui visiblement est blessée, et Andy, devenu fou, éructe et donne des coups de pieds en disant "elle n'a pas d'argent, elle ne pourra pas me poursuivre en justice!". La fin sera censurée par l'ami. Hilarant, surtout si l'on pense que certains l'ont pris au serieux. Andy perd. Andy sera blessé, portera une minerve pendant un long moment, et se verra frappé à nouveau par Lawler dans l'emission de David Letterman, lors d'un face à face hilarant.Andy criera au scandale. Insultera, sortira, reviendra, tapera du poing sur le bureau, s'excusant devant ses fans pour sa vulgarité. Le problème entre Jerry Lawler et Andy ne sera jamais resolu. Certains racontent que tout cela est vrai. D'autres disent que Kaufman n'etait au courant de rien. Aujourd'hui, on devine que tout cela était faux, monté de toutes pièces entre deux hommes qui connaissaient la fameuse frontière. Il n'empêche que la blessure de Kaufman reste un mystère. Quand Lawler lui dira que sa blessure est truquée (il portera la minerve pendant environ six mois) , il repondra un miserable "mais je suis resté une nuit à l'hopital!!!".
Andy, c'est aussi, et on l'oublie bien souvent, l'amoureux des mots et des livres. Lors d'un show qu'il donne, les spectateurs medusés vont comprendre qu'il ne va pas jouer, mais qu'il va s'installer sur une chaise, et lire Gatsby le magnifique à voix haute. Après quoi, et c'est la coutume après chaque spectacle, il leur offrira des cookies et du lait. On peut perturber son public, l'insulter, jouer avec lui jusqu'à lui faire perdre son sang-froid... et offrir des petits trucs, discuter autour d'un verre de lait. L'enfant toujours, qui tente de se faire pardonner ses vilains tours. Parfois, il les sort tous jusqu'au bar du coin. Un jour, il recevra la lettre d'une mère dont l'enfant est mourante. Elle lui raconte que sa fille l'aime beaucoup, et qu'elle aimerait bien le voir. Andy annule deux trois choses, prend l'avion, et se rend chez la mère, restant près de la fillette un long moment. Une anecdote que l'on ne lit pas très souvent dans les biographies du Monsieur.
Andy, encore et toujours un mystère. A Thanksgiving , en 1983, il tousse, et n'arrete plus de tousser. On lui diagnostique un cancer, visiblement une forme très rare, des poumons. Il se raccroche au dernier petit espoir que les medecins lui donnent, aussi faible soit-il. Et Andy continue à jouer sur la corde. Cette fois-ci, le défi est de taille : jouer avec sa propre mort. Il se rase les cheveux et apparait sur une chaise roulante. On lui demande d'arrêter ça. C'est trop visceral pour que l'on puisse en rire. En desespoir de cause, Andy se tourne vers la medecine orientale, il etait un adepte du yoga transcendental. Il se rend aux Philippines avec sa compagne, y rencontre une espèce de gourou et subit de longues séances de guerison. Andy avait dans l'intention de simuler sa mort. D'ailleurs, personne n'y croyait, à sa maladie. Quand il se rend à un concert avec une coiffure étrange, un peu punk, le doute n'est plus permis. Faire croire aux gens à sa mort, c'etait le meilleur gag qu'il avait en tête. Le tabou ultime qu'il se devait de briser. Faire croire aux gens qu'il est mort et qu'il reviendra 20 ans plus tard, en pleine forme, prêt à les faire rire avec "l'etranger", crachant sur ses collègues qui le lui rendront bien, manger les bonbons qu'il adore et offrir du lait et des cookies. Il y tient, à cette idée. Ca l'amuse beaucoup. Il offre 1$ à qui touchera son kyste. Bien avant qu'on lui diagnostique ce cancer, Andy tousse en pleine representation. Il arrête de parler pendant un court moment, et le regard est fixe. La peur semble emplir ses yeux, et c'est d'une tristesse indicible. Jusqu'à ce que la realité, cette atroce réalité, le rattrape, le 16 mai 1984. A 6 H du matin, ou 7 H. A l'age de 35 ans. Les yeux ouverts. On raconte qu'il n'avait pas (plus?) peur. Qu'à l'une de ses plus vieilles amies, il aurait dit "profite de la vie".
Un an après la mort d'Andy, Bob Zmuda, l'un de ses amis, se déguisa en Tony Clifton (ce dont il avait l'habitude, il prenait souvent la place de Kaufman quand la situation l'exigait). Le but etait de ramasser des fonds dans la recherche sur le cancer. Mais cet hommage deguisé de la part d'un ami dont beaucoup se méfie, mit le feu au poudre... et si Andy n'etait pas mort ? Et s'il se balladait sous le soleil hawaiien? Et s'il revenait dans 20 ans, juste comme il l'avait dit ?
Et si Andy nous manquait... tout simplement ?
Je l'ai decouvert, petite, dans un livre sur le catch, en anglais. J'avais la chance que mon frère s'y interesse, au catch, et moi aussi après. Quand j'ai vu la video du défi lancé à Jerry Lawler, c'en etait fait, je riais et j'etais prise au piège. Andy est un séducteur. Comment pouvait-on sortir des abberations avec un tel aplomb, une telle gravité?
Andy a finalement beaucoup de Latka en lui. Il a cette grâce slave. Cette joie enfantine dans le malsain et la mélancolie. Ce desespoir et cette gravité dans la joie. Je ne saurai jamais pourquoi je pense à lui en ecoutant Flaming Telepaths de Blue Oyster Cult. J'ai toujours une pointe de nostalgie. "And the joke's on you."
"Je veux m'occuper de leurs têtes" disait-il en parlant de son public. Je veux leur montrer une autre réalité. Oser, qu'importe si on se trompe. Qu'importe si ce que je dis est vrai ou non, si je suis ridicule, si je m'empêtre dans mes fils imaginaires. Brouillons les pistes. Le mystère n'en sera que plus fascinant.

Pour repondre à ceux qui me demande si j'ai vu le film de Milos Forman, Man on the moon, avec Jim Carrey, je leur repondrai que non, je ne l'ai pas vu, et n'ai pas envie de le voir.
J'ai toujours pensé que faire un film sur une personalité comme Kaufman etait un peu bizarre. Je prefère regarder Taxi en boucle, voir ses sketchs et ses apparitions télé. Où ecouter la chanson de R.E.M du même nom, bel et simple hommage à un rêveur.

Andy imite Elvis :


La fin du show d'Andy, avec apparition de Latka (avec dedoublements de personalité, ou quand Andy s'auto-psychanalise, tout simplement génial) :


Andy et Jerry Lawler au Late Night with David Letterman (et la fameuse baffe) :


Pop goes the weasel (ça ne fait rire personne, sauf moi): http://www.youtube.com/watch?v=E1ATfm-wnC8

7 commentaires:

Lamousmé a dit…

Encore un personnage fascinant que je ne connaissais pas!!
merci Fauna

Anonyme a dit…

Je suis mort de rire en voyant son imitation d'Elvis,et celle de "Pop goes the weasel",il a l'air tellement taré dessus!La chorgraphie est génial!!!!
J'aime comme toujours,la sensibilité de ton billet.
Allez,je me remets "Pop goes the weasel".^^

Fuchsia a dit…

Contente de ta rencontre virtuelle avec lui Lamousmé!

Seb,merci,pour le compliment.

Mon cher ami Mister Jay,je suis tellement heureuse d'avoir tes mots ici à nouveau!
Ta presence m'est importante.

Holly Golightly a dit…

Fauna, je ne connais pas cet homme, mais je vais m'employer à le recontrer. Ce billet est l'un des plus beaux que tu aies écrits sur cette page. Tu es une jeune femme surprenante. Merci.

Anonyme a dit…

Je viens de lire ton article et je dois dire que je trouve cet homme formidable. J'ai découvert le monsieur à travers (si ce n'est que sur le point purement divertissant) le très bon film Man Of Moon. Avant je connaissais pas du tout.
En fait je voulais te dire que le but du film qui semble t’échapper, n'est pas d'être le plus fidèle à sa vie, mais simplement faire découvrire aux petits jeunes comme moi (18 ans) la vie exceptionnelle d'un homme exceptionnel. C'est simplement ça. Et après c'est au spectateur de se renseigner, de faire le pour et le contre, de repéré le faux du vrai. Du moins c'est ce que j'ai fait. Et je dois dire que je suis pas déçu du voyage, ton article était très plaisant et pour peux que je me souvienne du film, pas loin de l'image que je m'étais faite de sa vie.

En tous cas, merci.

Fuchsia a dit…

Merci Azertip pour votre message.
Rassurez vous,je comprends parfaitement l'utilité de faire un film sur Mr Kaufman,simplement,c'est comme pour tous les biopics sur les personalités que j'aime : je n'explique pas,c'est ainsi,il y a toujours le risque que les gens s'arrêtent à une vision superficielle de l'homme,puisque tout le monde,n'en doutez pas,n'a pas le courage,comme vous,d'aller à sa rencontre.Il y a en a encore qui croient que Kaufman n'existe pas et est un personnage crée par Jim Carrey!Un film ne me dérange pas,bien au contraire,puisqu'il permet en effet,une découverte de l'homme.Libre à chacun de le voir,il se trouve que cela ne m'interesse pas dans le cas présent.
Je suis heureuse si mon billet vous a plu,à bientôt.

Anonyme a dit…

Merci pour ce retour. Andy Kaufman l'étranger...
Je comprend parfaitement ton choix de ne pas voir le film-hommage de Forman (un film qui me semble assez respectueux de l'esprit de Kaufman, si tant est qu'on puisse le cerner), pour ma part il a été une porte vers le personnage. Avant de voir Man On The Moon, je croyais que Andy était le frère du scénariste inventif de "Beeing John Malcovitch"...