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vendredi 16 février 2007

Venise sans moi...

Il y a encore et toujours Venise qui m'appelle. Je me surprends à penser à Arlequin et Pulchinella, Pierrot et le Matamor. Je crois que j'aurai bien aimé jouer l'un de ces personnages.
Comme j'aime beaucoup pleurer, je crois que j'aurai joué Pierrot, car je suis lui et il est moi.
Je me vois très bien déambuler en costume blanc, les épaules voutées, un mouchoir dans la main et des sanglots si atroces qu'ils reveilleraient les fantômes qui se promènent à Venise. Et puis,je serai beau, aussi. Les Marquises rougiraient sur mon chemin et m'offriraient des mouchoirs de dentelles. Elles seraient émues par mon air digne, malgré les larmes qui coulent sur mes joues. Et elles me donneraient, aussi, un macaron pour la route. Et quand je pleurerais de plus belle, elles riront de voir autant de sensibilité chez un homme. Et je mangerais le macaron, en trainant des pieds, et je regarderais la Lune en lui demandant d'exaucer un voeu, j'ai si peu de désirs, elle peut m'accorder ça, et puis, je loue chaque nuit sa beauté... un bien pour un bien, c'est honnête.
J'irai voir Molière et Goldoni, juste une visite amicale, et je leur dirai comment mon personnage doit être joué, et comment je dois être gai et drôle et rieur. Et plus tard, j'irai toquer à la porte de Verlaine, et je lui raconterai comment mon rire s'est enfui, et comment les pleurs ont remplacé ce rire, et je lui dirai que je ne suis qu'un bouffon, qui rie parcequ'il faut bien chasser les larmes et la mélancolie et que c'est ainsi que je combats la Mort. Et bien sûr, il ne me croira pas, il m'en voudra de lui preferer des poètes anglais... alors je partirai avec mon baluchon, nomade eternel, et peut-être que je retournerai à Venise. Et là, je me ferai boulanger, parcequ'il n'y a pas de sots metiers, et je travaillerai la nuit en ayant la tête ailleurs, pendant que ceux que j'aime travailleront de jour et finiront par m'oublier. Et finalement, je ne serai qu'un pantin et Pinocchio prendra ma place, et je rencontrerai Falstaff au detour d'un chemin et je pleurerai dans ses bras, parceque decidement, pleurer est la seule chose que je sache faire correctement, avec beauté et passion, toute mon âme est dans ces larmes, et aussi mon coeur. Et après, je prendrai le bateau pour aller ailleurs, toujours plus loin, je verrai les mers chaudes des Caraibes, les palais des Sultans et ma route croisera celle du Baron de Munchausen, et il me demandera de l'accompagner parceque je suis irresistible, mais je declinerai, je dois aller à Vienne rencontrer Sissi. Là-bas, nous pleurerons à deux, et je la ferai rire grâce à ma pantonime si mauvaise, je serai la Lune pour elle, et pour celles que je verrai après elle. Parcequ'il y en aura d'autres, peut-être. En Transylvanie, je rencontrerai Vlad Tepes et il me chassera quand je lui dirai ma façon de penser, que vous, Monsieur, n'êtes pas très poli avec vos hôtes. J'irai après en Angleterre et je rencontrerai Mr Barrie, et je lui dirai que la Lune m'a parlé de lui, et qu'il faut que tous me croient quand je dis que je les aime, parceque je n'aime pas tout le monde, et que d'ailleurs, j'ai tendance à me mefier de ce tout le monde, et que mon nez pointu sent quand on me veut du mal ou me flouer, et que je n'aime pas les flatteries, même si elles me font sentir meilleur, et puis qu'importe, mon baluchon est prêt. Et Mr Audrey Beardsley me trouvera si beau qu'il voudra me dessiner, et je prendrai la pose près des roses, et il me dira de sourire, mais je n'y arriverai pas, alors il me peindra avec ma bouche fermée et mes yeux déçus, et il me demandera ce que j'ai vécu pour avoir un tel air sur mon visage enfariné. J'ai rencontré les Ogres Monsieur, lui dirais-je. Et j'ai été poursuivi par les loups. Les Marquises ne m'ont offert que des mouchoirs. Et pourquoi cette farine? La farine me maquille, Monsieur, elle cache mes larmes. Mais j'aime mes larmes, et je ne m'en separerai pour rien au monde. Peut-être aurai-je envie, un jour, de mettre une bouteille à la mer. Avant ça, je comtemplerai à loisirs les femmes de marbre nues si belles dans les feuillages, et les guerriers d'une autre époque, ceux qui faisaient la guerre romantique parait-il. Et je me promenerai et j'aurai de belles images, parceque les Fées sortiront de la rivière pour moi, pour me montrer que je ne me trompe pas, et quelqu'un chantera une berceuse, quand je serai caché derrière le buisson, encore en train de pleurer, en pensant à tout ce que j'ai laissé dans cet ailleurs, et cette berceuse me calmera un peu et puis je repartirai. J'aurai toujours un mouchoir dans la poche. Et peut-être que le bateau s'arrêtera un jour, et que je pourrai me reposer, et trouver un bon lit quand je serai fatigué, et peut-être que j'irai hanter des manoirs ou des maisons, peut-être , je n'en suis pas sûr, et peut-être aussi que ma bouche ne sera plus fermée, mais qu'elle sera ouverte à jamais, et que je chanterai pour ceux que j'aime. J'agiterai mes manches blanches, je me sentirais comme un oiseau, parcequ'elles ressemblent à des mouettes, et j'irai les rejoindre dans mon rêve, même si mon corps sera toujours attaché à la terre, et aux ronces qui aggrippent mes jambes. Il y aura une minuscule goutte de sang, et je rirai de ma folie, parceque oui, maintenant, je sais ce qu'est rire, et c'est tellement drôle, et c'est tellement beau, ce rire tragique. Je donne ce rire à la Lune et aux nuages, même s'ils n'apparaissent pas en même temps, et ça ne me derange pas, j'ai de la place pour tous sous mon grand vêtement informe. Et ce pays que j'ai laissé se souviendra de moi, et il me dira qu'il serait temps que je me repose, même si j'ai l'impression de me reposer depuis des lustres. Je prendrai un verre de cet alcool très fort qu'on m'a donné en Russie, et je tousserai au premier verre, mais ça passera si bien après, que je serai heureux, libre de chanter, je n'ai jamais chanté que pour moi. Et après, j'irai m'endormir dans un val, qui sera lui aussi endormi, et je fermerai les yeux, et je verrai les cathedrales et les anges, et toujours les oiseaux, et je m'y endormirai, et Pan viendra me consoler parceque je pleure dans mon sommeil, mais il ne sait pas que, finalement, ce n'est plus si important. J'aurai le souvenir des autres, ceux qui m'ont offert leur amour, et l'odeur du bon pain. Et je m'endormirai, parcequ'il est temps, plus que temps. Je penserai à ce que j'ai perdu, parceque ce petit moment, ce tout petit moment avant de s'endormir est très long, et il faut que je pense encore un peu. Je penserai aussi à ce que j'ai gagné, mais ce sera peu, parceque ce que j'ai gagné est comme le sable et j'ai laissé ma paume ouverte, avec les doigts écartés.
Mais je serai heureux, parceque rien n'est eternel, et surtout pas moi. Mes rêves, eux, le seront. Ils viendront s'installer, tranquillement, chez d'autres Pierrots, dans d'autres villes et d'autres pays. Ce seront des petits enfants tristes et ils sauront, eux aussi, que la farine ne sert pas qu'à la patisserie. Ils seront inconstants et dans la Lune. Et je laisserai toujours pour eux, mon coeur bien ouvert, dans ce vallon. Et peut-être que Venise rira elle aussi, parceque je lui aurai laissé mon rire. Et mon voeu n'aura jamais de nom.

4 commentaires:

Lamousmé a dit…

Quel texte...je suis trop émue pour en dire plus...

Holly Golightly a dit…

Fauna, tu as écrit un texte à la fois poétique, enchanteur et tragique, empli d'une philosophie qui m'affole.
Si je ne t'aimais pas autant, je serais envieuse de ton talent, de ce pouvoir que tu possèdes sur les esprits. Je suis admirative et rêveuse. Tu as du talent. Tu ne connaîtras jamais l'abandon de ceux qui n'ont pas d'univers intérieur. Tu es riche.
Et puis, j'ai reconnu tous les personnages et les paysages de ce voyage.
Ah, Venise, qui est ma seule mère. Et puis Aubrey Beardsley...
Merci pour ces instants intenses qui justifient une journée. Merci ma Fauna.

Anonyme a dit…

Chère Fauna,tu m'aurais presque fait pleurer.Je me suis couchée un peu triste,en te lisant...
Bisous.

Xoan a dit…

Malgré mais surtout grace a ses douces larmes j'aperçois un si beau visage, tragique, émouvant mais dont le regard me fait découvrir une âme dont la beauté m'apporte de douces larmes.
Je sais maintenait que quand je regarderais dame Lune, quelque part au fond de moi je croiserais ce regard triste....
Merci Fauna pour cet instant de pure émotion qui tant me plaît et qui me nourrit.
Je t'embrasse tendrement sur ta joue, juste pour goûter au sel de tes larmes....