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mardi 8 mai 2007

Rêveries

J'ai rêvé cette nuit. Et je remarque que mes rêves sont lumineux en ce moment, malgré la tristesse et l'angoisse ambiantes. Je vois des enfants, des fleurs, de la neige. De bons présages, m'a-t-on dit. Je ne sais pas si je vais y croire. Parfois, je rêve de l'océan, immense, et moi sur un bateau. Le bateau sera toujours là, c'est le signe de mon déracinement. Je vogue toujours, attendant une escale. Mais je ne descendrai jamais, car il y a des gens,et je ne les aime pas. Je sais qu'il y aura flatteries à gauche, ennui à droite. J'hésite, j'ai une longue robe, je mets un pied sur la passerelle, je regarde les gens, je regarde les maisons, les étals de poissons, le chien qui aboie et les enfants qui courent, les cris de cette femme et le rire gras de cet homme, les regards de ceux qui attendent l'étrangère, et je sens que l'on va me demander comment je vais, si mon voyage a été bon, si je n'ai pas souffert de la chaleur, et si ceci, et si cela. Mon pied n'a pas eu le temps de toucher la passerelle que je le retire bien vite, et m'en retourne sur les planches de bois du bateau, en faisant claquer mes talons. Je me retire dans un coin, comme une petite souris effrayée, du moins indifférente, et je reste là, je leur montre mon dos et leur montrerai bien mes fesses si je le pouvais, comme un dernier pied-de-nez, les yeux vers la mer, et j'aggrippe la rembarde, je la serre à m'en blanchir les jointures, et je prie, je prie très fort en moi que le bateau s'en aille, qu'il s'en aille enfin, ils prennent tous beaucoup trop de temps à le faire repartir...et il s'en va, ou plutôt, il fuit, il fuit en direction de cet horizon, et c'est comme la course de Phebus derrière Selène, je vogue éternellement vers cette ligne. La rattraperai-je un jour? Je l'ignore, à l'heure qu'il est, et je continue, toujours plus loin, et je ne descends jamais du bateau, quand bien même à chaque escale on me fait des signes, là, à droite surtout, mais je ne me retourne plus. Et bientôt, très très vite car le temps n'est plus et que je ne m'aperçois de rien, le bateau sera vidé de toutes âmes humaines. Plus de respirations, plus de sons, plus de cris ou de larmes, plus de discussions stériles, même si les discussions sur un bateau restent plus interessantes que sur la terre ferme, et je suis seule avec le Capitaine, les yeux dans l'eau où nage une sirène, et le Capitaine me demande où je souhaite me rendre. Je n'ai pas de réponses. Je ne sais pas parler, je suis muette ou bien on m'a coupé la langue et c'est bien mieux ainsi. Alors je tends la main vers l'Eden, là-bas, et il me salue avec grâce, comme les gentilhommes des temps anciens, et il me semble que j'ai dejà connu un tel siècle. Je me dois de le saluer, et je le fais, en me baissant, me baissant jusqu'à ce que je sente une douleur dans mon dos, jusqu'à ce que les mèches de mes cheveux balayent le sol, jusqu'à ce que mes bras soient hauts dans le ciel, et eux aussi me font souffrir, mais alors, je serai prête pour l'envol. Et je souris en inspirant très fort l'air alentour. Je gonfle mes poumons. Suis-je vivante?
Bientôt, nous sommes perdus dans l'immensité, nous jouons à un jeu tous les midi pour apprendre à nous connaitre, je lui lis des sonnets avec tout le feu dont je suis capable, je lui raconte qu'il y a des jours où on ne peut qu'être égoiste, en songeant à la mort des êtres aimés. Que je pense au vide là tout près, et à la mort de John Keats. Que je l'imagine dans les bras de son ami, le peintre Severn, alors que finalement ils ne se connaissaient pas si bien que ça, alors que finalement, ils se sont peut-être aimés dans cette petite chambre d'hôtel romaine. Pas aimés au sens physique, Mr le Capitaine. L'amour comporte tant de sons, de parfums, et d'odeurs, qui sont tout autant de significations différentes, que je peux bien dire que deux hommes aient fini par s'apprecier en utilisant le mot aimer. Ah! mon cher ami John. Tu pleurais peut-être quand les bougies s'éteignaient, comme l'enfant que tu étais, perdu dans l'obscurité, mais je crois que tu étais digne dans cette mort qui ne l'était pas. Je pense aux mots que l'on peut prononcer quand on sait qu'on est sur le point de partir, quand on sait que le chemin est engagé, et qu'il faut y faire face. Mourir dans un lit inconnu, un pays que l'on aime mais qui n'est pas nôtre, mourir sans sa famille, mourir seul et en exil, en étant juste celui qui doit partir à ce moment-là, parceque c'est écrit dans les étoiles, peut-être. Et ressentir encore quelque chose, comme le souffle de l'ami sur le visage. Tu lui a demandé de se pousser un peu, juste un peu, son souffle était comme de la glace. Attendre de mourir, et attendre encore et encore qu'elle veuille bien arriver. 7 heures, c'est si long. C'est long d'attendre. Ca doit être drole de mourir, Monsieur le Capitaine, c'est étrange.S urtout d'attendre dans un lit, ou ailleurs. Apprendre à dire aurevoir à tout. Comme j'ai longtemps detesté cela. Detesté cette resignation. Detesté cette petite liste où on écrit les dernières choses à faire et à ne pas oublier, comme une liste des courses. Je n'aime pas la mort du petit Prince. Je n'aime pas qu'on me prévienne que ça va être dur, que ça va être un mauvais moment à passer, que ce sera juste ça. Je prefère une mort de violence. Ca arrive, on n'a pas le temps d'y penser, ou de regretter. Pas d'adieux à faire, c'est long, ennuyeux, on oublie toujours le petit truc important, et quand on y assiste, on a toujours à faire face à quelque chose, ce quelque chose enfoui au fond de nous qu'on a pas envie de retrouver si vite. Je n'aime pas les aurevoirs. Je suis peut-être faible et lâche. Et j'aimerais être comme toi, John, quand les lumières se rallumeront un court instant...s'écrier, plein de joie "Regardez! regardez! C'est la fée des flammes, qui vient d'allumer la bougie!". La mort des autres m'est un supplice. Et la vôtre, me demande le Capitaine? J'en ris, Monsieur. Je ressentirais tout ce que je vous ai dit, la colère, le desespoir. Mais au final, j'en rirais.
Il m'a écoutée avec toute la politesse du gentilhomme qu'il est, vous me faites penser à Athos, Monsieur. Il me parle des gens qu'il a tué, de la sirène qu'il faillit attraper, et quand le soir vient, je regarde l'eau profonde, je lui montre comme c'est étrange, on dirait qu'il neige sur cette eau, c'est tellement beau que j'ai les larmes aux yeux, elles deviennent des perles que je lui offre, je retrouve la parole pour demander où nous sommes, lui et moi...sommes-nous perdus à jamais?
"Terre!" me dit-on. J'ai un peu de peur, là, au fond de mon ventre. J'aimerais aller là-bas...vous la voyez, cette petite terre? Il y a un chemin un peu brumeux, caché par les arbres, et au fond, un château, il semble déplacé ici, mais je le reconnais pour ce qu'il est : il abrite des gens que j'aime, j'en vois un à la fenêtre qui me regarde avec des yeux étrangement ronds. Ce château peut les abriter tous, mes amis, il est immense, il atteint les nuages, ses tours les transperce et les fait pleuvoir. J'aimerais, à ce moment-là, que la mer devienne furie, que les monstres qui l'habite s'agitent et hurlent, pour que les vagues deviennent montagnes, qu'elles me recouvre, moi et le Capitaine. Alors,je pousserai un grand cri qui se terminera en rire, ma mélancolie et mon horrible besoin visceral de me croire coupable de tout seront balayés. Et en sentant cette vague sur mon visage, je sais maintenant que tout cela n'est qu'un rêve dans le rêve, et que je ne dors pas. Que je ne me suis jamais endormie, mais que je ne me reveillerai pas pour autant. Et ça me plait, et je me dis que je suis bien chanceuse, moi, évaporée dans le vent, bientôt enracinée dans la terre qui m'attend comme le Pierrot déraciné que je suis, et les autres peuvent aller au Diable comme ils m'envoient au Diable, je lui dirai bonjour de leur part, et en attendant d'accoster là-bas, cet endroit que j'ai choisi, mes Chimères perdues et égarées et nébuleuses, je joue avec la perruque du Capitaine, mets de la farine sur mon visage, m'aggrippe une fois de plus à la rembarde, sous les vagues qui font comme la pluie.

5 commentaires:

Holly Golightly a dit…

Ma Fauna, je découvre ton dernier texte en date, en ce moment. Je l'attendais avec une petite fièvre au creux du coeur et de la nuque.
Je ne vais pas le commenter, bien sûr ; ce serait stupide et indigne du sublime qu'il déploie du début à la fin - qui n'en est pas une.
Tout est dans la suggestion et je crois, par télépathie, comprendre des choses, puisque je ressens plus que je ne pense quand je te lis, aspirée par tes mots et tes images, me retrouvant soudain dans un lieu que je n'ai pas envie de quitter.
Ma Fauna, je pleure un peu ce matin en te lisant. Non, je ne suis pas triste à proprement parler, mais tes mots prennent mon émotion dans leurs bras. Et Keats... Keats... Tu sais si bien l'essentiel.

Anonyme a dit…

C'est beau,Fauna,très beau.Votre complexité me touche toujours,et je suis entièrement d'accord avec le billet de Holly,il n'y a rien à comprendre,tout est suggestion,à nous de chercher le mystère dans ces mots.
Surtout ne changez jamais.

Lamousmé a dit…

magnifique comme toujours...

Anonyme a dit…

Tu nous emmène sur le bateau,amie "déracinée"...?
Bisous pour toi.

Anonyme a dit…

Je viens de lire ton texte merveilleux et je ne trouve aucun mot pour décrire ce que je ressens...
Tes mots sont comme des larmes amères qui coulent le long d'un regard éperdument amoureux de la vie , mais d'une autre vie, celle des rêveurs et des poètes où chaque mots ont leur propre battement, chaque regard leurs propre douleur mais la même sensation que la vie est ailleurs, juste ici mais sur d'autres rivages fantomatiques effacées à jamais des cartes de leur mémoire.
Je ne viendrais pas troubler ton rêve car je vis dans le souffle nocturne des nuits solitaires qui gonfle les voiles de ces navires échoués quelque part juste après la ligne d'horizon, que l'aube dissimule aux regards des autres.