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mardi 4 décembre 2007

Pierrot et le Tango des-Astres

L'humain est double.
Dans mon cas, il est même triple. Non pas un, mais trois visages.
Le premier que je montre aux autres, n'est pas vraiment agréable. Il fait la moue, il regarde de haut, répond rarement, ne termine jamais ses phrases, et au final s'enfuit. Le premier visage a la misanthropie accrochée aux cils, l'abandon rivé aux lèvres, et ce paradoxe le brûle, alors il fuit, avant qu'on ne le fuit.
Le second visage est peut-être plus agréable, mais loin s'en faut. Il ressemble à un chat qui apprivoise autant qu'il se laisse apprivoiser, l'un ne va pas sans l'autre, ses coups de pattes sont maladroits et ce visage n'est montré qu'aux rares élus, qui éternuent souvent en sa compagnie. C'est que ce visage prend parfois la poussière.
Le troisième visage est un masque qui découle du second. Son secret est encore bien caché, parcequ'il n'est pas plus agréable que le premier, s'y cachent toutes les blessures du second. C'est une vieille tapisserie qui tombe en lambeaux, dans les yeux souvent s' allume un feu, la bouche vomit parfois son coeur.
Un est relié à Deux qui est relié à Trois et Trois a un fil ténu qui le rattache à Un. C'est un bon début, pense Un ou Trois, à moins que ce ne soit Deux, pour commencer une comptine. Ensemble, vieillard qui n'a plus toute sa tête, il a mal au dos. Il faut conjurer le sort, ce n'est pas le coeur, ce sont des ailes qui lui poussent. Ce n'est pas que les trois masques aient de la Sainteté à revendre, bien qu'ils se soient souvent rêvé Martyres, c'est juste le signe qu'il faut parfois s'envoler. A qui servent les ailes sinon ?
Celui qui a le masque de Pierrot pleurniche en silence, comme à son habitude. Dans son sac, ses papiers, ses cahiers, ses crayons mâchonnés, ses livres, et sa drogue. Moqueur, Un constate qu'il y a là sur le pouce une tache d'encre. Là, à côté du mot "clou", il y a un dessin. Tu écris ou tu dessines ? lance-t-il à Pierrot qui hoche la tête. Ni l'un ni l'autre. Je montre mon visage. Quand j'oublie des choses, je danse en imagination. Ou irons-nous danser ? Que danserons-nous ? Un Tango ! crie l'un des Trois. Un Tango à notre mesure, un Tango Des-Astres. Pierrot secoue la tête. Non, non ! Je n'ai pas le plaisir d'avoir inventé ce jeu de mots. Cela dit, il accompagne bien mon teint.
Et c'est une bonne idée. Pierrot-Pedrolino reprend Visage, un long processus qui raccourcit les fils et désintègre les images. Puis, il bouge les bras, dans tous les sens, il se fait Mime Ridicule et bat des manches, toujours poussièreuses, car il n'en change jamais. Ce sont ses Mouettes. Mais les mouettes sont capricieuses. Au lieu de l'entrainer vers les Astres, ou vers la mer voir l'albatros, les mouettes volent au ras du bitume. Alors Pierrot suit le mouvement des Mouettes. Le bitume gratte ses jambes quand il marche dessus, même si en vérité, tout cela se passe dans sa tête, et que le bitume ne l'a jamais gratté, c'est une impression, une mauvaise sensation, juste une mauvaise sensation, parcequ'il n'aime pas le bitume, du moins, il n'a jamais frayé avec. Pierrot est borné, sa fierté mal placée. Ignorons donc le bitume, quitte à voir se peindre sur le visage cette expression un peu horrifiée.
Ou allons nous ? Mais où allons-nous ? repète-il, l'air un peu idiot, et dans son coeur une prière.
Si tu veux t'énivrer, crie la Mouette, au Cabaret, au Cabaret ! Les Cabarets que tu aimes, ceux qui s'appellent L'Enfer, ou le Théatre du Grand Guignol, ceux où tu n'a pas besoin de mettre ta peau de loup, quand il n'y a plus grand-monde, quand il n'y a plus trop de lumière, quand les violons, violoncelles et contrebasses rythment le temps d'une manière trop lente. Pierrot ricane, parcequ'il ne sait pas rire autrement, sauf quand on le surprend. C'est parcequ'il n'y a plus personne pour écouter. Ou parcequ'ils ont compris qu'il ne servait à rien de courir après lui, le temps, ou après l'âge, parceque rien ne sera différent, malgré tout ce qu'on nous a dit. Alors allons-y. Les Mouettes volent. Trop vite à son goût. Il aimerait dire le mot doucement, qui a une si belle résonnance.
Pierrot entre dans le Cabaret, et il avait raison, nulle lumière pour brusquement l'aveugler parcequ'ici aussi tout est noir, et il pousse un soupir de satisfaction. Il prend un peu d'élan sur sa jambe gauche, la droite ne le supporte plus, et il se met à tourner sur lui-même au son de la musique. C'est une chose qu'il a toujours aimé faire, même si cela le fait buter sur les murs, sur un homme, une femme, une idée ou un malheur, au mieux un enfant, au pire, une connaissance. Ce faisant, le vent entre dans sa tête et balaye tout sur son passage. Ô Joie! se dit-il. Je n'ai que du vent dans la tête. Du vent. Alizée, Bourrasque, Tramontane, Chinook. Son affection va au Zéphyr, parceque le prononcer fait penser au bruissement des feuilles d'Automne. Quand Pierrot est dans la forêt, assis sur une branche d'arbre, les jambes balançant dans le vide, il repète souvent ce mot. Il aime bien monter sur le é et plonger sur le y et tenir, longtemps, le murmure du r. En bas, on se dit qu'il a perdu la raison. Le vent dépose ici et là des soupirs et des interrogations.
Alors Pierrot relève la tête, et tourne un peu moins vite, l'envie lui prend d'observer. Tout cela est ennuyeux, mais fort interessant. Son regard se pose sur quelqu'un, brièvement, et sa main touche une main inconnue, plus froide que la sienne. Il valse les yeux fermés et les mouettes se stabilisent, pour ne pas qu'il tombe, il ne faudrait pas qu'il tombe. Et ses mains touchent tout, il garde un oeil fermé, crispé, pour ne pas voir, il essaye d'ouvrir l'autre, se force à l'ouvrir, mais ce n'est qu'une fente, minuscule fenêtre d'où glisse cette larme unique, dans son col. Il caresse la joue de celle-ci parceque son visage est beau, ou parceque son visage est laid, il n'a pas vraiment vu, il serre la main de cet autre qui refrene un sanglot, et se maudit la seconde suivante de cette faiblesse, tapote la tête de ce chien crasseux, et il tourne, encore et encore, tire la langue à ce gamin au pas trainant, aimerait donner une claque à celle dont le rire transperce ses tympans, fais la grimace à celui qui lui tend la main et un pas de deux pour s'en éloigner, vole ce verre d'absinthe où il se noiera, lui et ses erreurs, et se brûle les lèvres au contact de ce thé, qu'il imagine être à la rose.
Il tape un peu du pied en entendant un tambour et s'aperçoit qu'il est finalement difficile d'être tambour et violon à la fois. Et pourquoi tourne-tu sur toi? ronchonne une Mouette. Arrête-toi! J'aimerais voir ton visage juste un instant, pas juste cette blancheur, pas juste cette larme, pas juste cette face de lune, qui me ferait presque peur.
Il convient de ne pas répondre, parceque tu es horripilante. D'ailleurs, tous m'horripilent. C'est un mot amusant à écrire. Mais moins drôle que décevant. On appelle ça un souvenir. On appelle ça tourner en rond, et se mordre la queue. Le loup hurle. Se repeter, parceque finalement, on écrit toujours la même chose, et on danse toujours après la même chose. Plus tu l'approches, plus elle s'éloigne et je n'ai pas envie de courir, et peut-être même que j'en fais exprès, de danser au lieu de courir, comme ça je serai sûr de ne rien rattraper. Cela vaut mieux que de se raidir.
Et puis Pierrot s'arrête, un peu surpris. Il est arrivé à la sortie du Cabaret, et il n'a rien vu. A moins qu'il n'ait fait le tour et que, revenu à l'entrée, au tout début, il n'a rien vu non plus. Sur les marches, là-haut, Pierrot se retourne, la tête lui tourne et c'est maintenant qu'il se raidit, et que sa mâchoire se crispe, quand la musique a fait place au silence, c'est une chute. Il regarde son monde, qui n'est pas sien, et il entend le bruit de sa respiration. Il regarde les gens qui le regardent, et les Mouettes se taisent. Il est drôle d'attendre. Que va faire Pierrot ? Va-t-il décevoir encore une fois ? Les Mouettes ressemblent à des Vautours.
Pierrot prend une grande respiration. Il passe la langue doucement sur ses lèvres, forçant sa mâchoire à s'ouvrir, et il se découvre sensuel. Carnassier ! rit Mouette Droite. Sa mâchoire se referme aussitôt. Comme il est dur de calmer sa faim. Sa bouche s'affaisse, ses sourcils font une vague. Sa main tord le tissu qui recouvre son corps, haut, là, près du coeur. Il mourrait à l'instant, si le trop-plein, ou le manque, devenait Raz-de-marée. Mais comme au fond tout n'est que repetition, et qu'il se fiche de sa maladresse et de sa médiocrité, Pierrot reprend courage. Il sourit, tente de calmer l'angoisse qui repose dans sa main droite et se baisse, lentement, très lentement. Toujours aussi lent ! dit Mouette Gauche en crachant. Il ne sera jamais plus rapide... dit Mouette Droite, les yeux au sol. Une révérence, juste une dernière, murmure Pierrot. Pour montrer que je n'ai pas peur alors que j'ai si peur. Que cela ne m'atteint pas et ça ne m'atteint pas. Et autre chose que je ne parviens pas à definir. Aussi, taisez-vous, vous deux.
Inspiration. De sa bouche ouverte sort une fumée grise. Arrière tous, et surtout vous, les scientifiques ! Ce n'est pas de la fumée, mais il l'appelera ainsi. Il fait froid, et il brûle à l'interieur. Il est Cheminée ou Feu de joie. Il sourit, c'est amusant, c'est monstrueux, nous sommes en Décembre, il se lovera dans la Neige. Les Mouettes déchirent le rideau rouge, le mettent en pièces. Il y a un peu de rage dans leurs coups de bec. Bientôt, il n'en restera rien. Aveugles, elles pourraient tout aussi bien se retourner contre Pierrot. De lui, il ne resterait rien non plus.
Pierrot se retourne, et par cette ouverture, Pierrot s'envole. C'est une constante, chantent les Mouettes à l'unisson, perdues dans le vent, quand on ne sait pas écrire le mot Fin en bas d'une page.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Un plaisir de vous voir de retour. Trois mois, c'est trop long.

Holly Golightly a dit…

Francofou, Fauna est Liberté, et cela valait la peine d'attendre - et Fauna ne doit rien à personne ; qui sommes-nous pour attendre quelque chose d'elle ? - pour lire un si beau texte. Ce texte-là en vaut cent. On ne l'épuise pas avec plusieurs lectures. Plusieurs niveaux coexistent et me font entrevoir un quatrième visage.

Ma Fauna, je prends ces mots avec moi. Je vais les mettre dans la doublure de mon esprit, dans un coin du Grenier, là où je sais pouvoir les retrouver quand j'ai besoin d'élan. Merci, ma Fauna, pour ces mots-là. D'une certaine manière, comme par magie, ils épousent mes états présents. Je les lis et je me lie à eux. A très vite, mon Amie !

Anonyme a dit…

Fauna, chére Fauna, comment ai je pu passer à côté de ce nouveau texte, moi qui l'attendais depuis si longtemps...
Je suis impardonnable...Mille excuses!!!

Voilà en tout cas un texte trés touchant qui dans sa folie surréaliste diffuse comme une sorte de tristesse que j'ai bien du mal à définir mais que pourtant il me semble comprendre ...
Cette danse est fabuleuse...
"Fuir avant que l'on ne me fuit..." Pourquoi n'ai je pas entendus ces mots plus tôt!! Combien ils sont frappant de vérité...
Combien ton texte appaise mes propres douleurs tout en les ravivant. Etrange double face n'est ce pas??

Je ne sais comment te remercier d'écrire de si belles pages et sois sûr que j'y reviendrais...Pour l'heure il faut que j'essais de m'envoler!

Au plaisir, chére Fauna, pour une autre danse avec toi...

Anonyme a dit…

Un bien beau tango que celui-ci.
Le masque serait-il tombé ou ne parviendrait-il plus à faire son office?
Qu'importe, la magie de ces mots me pousse à me lever à mon tour et à rejoindre Pierrot, s'il m'accorde cette danse...

Jiyu