Pages

jeudi 10 janvier 2008

Moumin dit...

... je pourrais bien ramer un peu sur cette barque avant de me noyer.

Choisir une barque, s'y assoir et attendre. C'est comme un long oubli dans lequel on glisse, une hibernation, une mue. Ce n'est pas de l'ennui, c'est un divorce.
Avant de trouver une barque, on nage et on s'agite quand on sent qu'on perd pied, comme quand on est petit, là bas sur la Mer Salée qui est une héroine à elle seule et avec laquelle on a l'honneur de communier. Faire la planche, sentir les vagues dans le dos comme la main d'un ogre géant venu prendre le petit corps pour le bercer, et regarder le soleil jusqu'à avoir de minuscules perles noires dans les yeux, avoir enfin, la nausée.
Ramener, pendant qu'on dérive, les genoux près du cou, parceque les algues en dessous essaient peut-être de m'attraper. Elles sont jolies avec leurs couleurs vertes et noires, elles quémandent de l'amour en bas, et il faut resister à leur attachement excessif. Parfois, d'autres mères viennent vers l'enfant à la dérive. L'une d'elles me demande un jour ce que je fais en position foetale, crispée contre les vagues, mais sans me battre, je me laisse voguer. Tu ne devrais pas faire ça, la mer va t'éloigner. Tu ne voudrais pas que la mer t'éloigne, n'est ce pas ?
Je ne sais plus si j'ai répondu à la dame. Je ne réponds jamais aux gens que je ne connais pas, alors peut-être, parce qu'en plus ma Maman m'a dit de me méfier de tous les inconnus, ne lui ai-je pas répondu. J'étais muette à cette époque. J'étais le Spyhnx pour les uns, et une Demeurée pour les autres. J'ai du lui donner mon regard vide alors qu'il n'était qu'observation, et elle a du me prendre pour une gentille idiote, se rangeant ainsi dans la catégorie numéro 2, la plus fréquentée car pavée de bonnes intentions. Et alors n'apprenant rien, j'ai du dériver de l'autre côté, en me retournant comme une baleine. Vers les rochers sur lesquels parfois seulement, on se coupe, quand on n'y prend pas garde. Regarder les cheveux qui dans l'eau sont des serpents. Mimer la noyade, en engloutissant lentement la main dans la mer, et il n'y aura pas de cris, parce qu'Ophélie n'a pas crier, et j'ai su ensuite que Fuchsia ne cria pas non plus. Et puis, Maman Légitime rappelle, à grands coups de "Reviens" affolés. Il n'y a que ceux qui connaissent le pouvoir de la mer pour s'inquieter quand l'enfant s'immerge de bonne volonté. Ce n'est pas la peur de perdre à nouveau un petit, mais parceque l'on sait trop le bonheur de dériver. On observe de façon un peu trop tranquille l'horizon là-bas, et à droite ou à gauche, il y a l'ïle des femmes en noir, le deuil dans les yeux et le geste mécanique, le regard perdu dans le vague, bien droites sur la falaise, et on se dit qu'un jour, on sera peut-être une de ces dames en noir, celles qui attendent. On lève parfois sa main vers le soleil pour regarder à quel point la peau est fripée, et peut-être que si je nage encore un peu, je verrai ce qu'il y a derrière l'horizon, s'il veut bien m'attendre encore un instant, car je suis poisson dans l'eau, et bien plus véloce que sur la terre ferme, mais je ne suis jamais assez rapide. Et puis, l'on ressort de là pareil à un nouveau-né, avec une année ou plus sur un coin de la bouche. On se sèche, un peu rudement. On a envie de demander pourquoi ils ont arrêté le cours du temps. C'était si parfait, pourquoi tu l'as arrêté ? Moi, je ne t'ai rien demandé, que viens-tu faire dans ma rêverie parfaite, dans la simulation de ma mort ?
J'ai rêvé cette nuit, un rêve étrange où venait me visiter mon ami Ludwig. C'était une belle visite, et je vous aime si fort Monsieur, même avec vos oreilles trop grandes et vos dents pourries et vos rondeurs d'Ogre quand vient la fin, qu'ici de la mer, vous n'entendrez que la mélodie.
Mon ventre devenu énorme copie le corps de la femme enceinte. Un enfant imaginaire ? Non ! surtout pas. Un est un chiffre qui me suffit. On ne s'habitue pas à quelque chose parce qu'on l'a éprouvé plusieurs fois. C'est pire à chaque fois. Alors bien vite, prendre le couteau qui traine par terre, et trotiner un peu partout, soutenant le ventre avec les deux mains, avec le couteau qui pend et entaille une cuisse à chaque pas qui s'avère plus difficile que l'autre. Les mains ressemblent à celles de Médée. Cahin caha à petits pas, on cherche du regard l'endroit, le bon endroit, il ne faut surtout pas choisir à la légère, et l'oeil averti aperçoit des porcs, là-bas. Après, il suffit de bien serrer le couteau dans la main, et sentir les jointures brûler, ne pas pleurer et ouvrir le ventre. Un coup sec et un seul. Pas de douleurs, juste le cri de l'appréhension, si peu de sang, un engourdissement, un sourcil se lève et le fumier qui se deverse dans l'auge. Je suis pleine de fumier, voilà la raison. Et un sourire satisfait sur ma face de lune pour courir de l'autre côté, et que les porcs festoyent ! Ils se lèveront bientôt, avec complets et monocles, chapeaux haut-de-forme, accent français dans leur anglais parfait... et ça ne les empêchera pas de salir leurs manches et leurs jolis plastrons de boue et de nourriture, avec un cri visceral, celui de la pure satisfaction.
Cependant, Mme Truie retient l'attention en levant sa patte. Dites moi, cette jeune fille qui fuit, n'est elle pas folle ? Ou alors très généreuse ? l'un comme l'autre, tout cela est fort inquietant.
C'est tout ce que j'ai à offrir, dit la jeune femme qui revient sur ses pas, mains croisées sur le ventre ensanglanté. Il conviendrait d'apprendre à mentir, dit Mme Truie. C'est comme ça que font les adultes dans la vie réelle. Alors à l'Asile ! A l'Asile avec les fous !
A l'Asile de Fogg ou de King's Court, quelques médecins dont le nombre pourrait leur donner l'idée de créer un orchestre se penchent sur elle. Une cicatrice ! Pas de langue ! Pourquoi a-t-elle les cheveux si humides ? Et quelle est cette cicatrice encore plus grande qui la coupe en deux ? Et pourquoi croisez-vous vos mains de cette façon ? Non vous n'aurez pas de thé ! Heureusement, Miss F. a un joli papier pour expliquer son cas. Une belle écriture à la plume y est apposée, et un gentil médecin permet à l'internée de toucher le papier, et de le lire, et si Miss F. louche pour voir ce qui y est inscrit, c'est que l'écriture est illisible.
Miss F. est lunatique mais plus encline à un abattement incompréhensible, étant de fait, capable de pleurer en écoutant un air de clavecin ou de violoncelle d'une durée de moins d' une minute.
Miss F. parle avec la rage aux commissures des lèvres. Ceci est faux ! s'insurge Miss F., c'est uniquement quand je suis en danger... d'ailleurs, je vois des rats ici, beaucoup de rats, et des instruments tranchants, ce rasoir est même rouillé !
Miss F. oublie de répondre quand on lui parle, et pense que le cannibalisme est une bonne chose.
Miss F. se fige de temps en temps, et c'est très effrayant, dit-on. Je pars en vacances. C'est tout, marmonne -t-elle.
Miss F. se met à rire brusquement, pour des raisons inconnues.
Miss F. imagine des êtres et des choses qui n'existent pas, Dieu merci, rarement des situations. Miss F. a le coeur en pâte à modeler. Miss F. fuit, et son coeur fuit tout autant. Monsieur le Docteur, j'ai appris la leçon, je mettrais sur la plaie une sangsue et je le ferais diamant pour qu'il ne se blesse qu'avec un autre diamant.
Et dans le noir, je reussirai à m'enfuir comme Ludwig, et alors, il me faudra continuer à nager, me heurter aux rochers, sentir l'algue enserrer la cheville, éprouver l'eau comprimer ce coeur de peu de foi, répondre au sourire de la sirène, noyer la sangsue pour enfin, atteindre l'horizon. Je dépasserai le tas de bois qu'est la barque victime des algues, échouée sur le rocher, là est son tombeau.
Inutile de prendre cette barque, avec ou sans, le naufrage est assuré.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Je ne sais quoi dire...
(alors ne dis rien !)
Mais j'ajouterais quand même que c'est très impressionnant cette logorrhée ! Très personnel aussi. A tel point qu'on se sent en présence de la conteuse; à la limite.
C'est un univers très codifié, psychanalytique, fascinant !
Est-ce de l'écriture automatique ?
Ravi de te retrouver dans ton salon de thé en tout cas.
A bientôt donc... Je t'embrasse !

Anonyme a dit…

En me promenant sur les pages de ton livre, quelque part entre ses lignes de flottaisons incertaines, je me suis échoué ici.....
Je n'ai fait que suivre du regard ces phrases et ces mots que mon esprit n'a pas cherché à comprendre mais que mon cœur-grenier empli de vieux souvenirs délabrés, à recueilli comme l'un des sien.
Entre deux battements et une apnée, d'un simple regard timide et éperdu, d'une accolade affectueuse mais dont la chaleur s'égare dans les nuits solitaires, une fois encore il te dit merci...
Doucement je dépose un baiser sur ton visage, où tes yeux sont curieusement absents, pour ne pas te réveiller, te laissant à tes songes étranges, derrière cette porte envoûtante dont toi seule possède la clé.

Holly Golightly a dit…

"Il conviendrait d'apprendre à mentir, dit Mme Truie. C'est comme ça que font les adultes dans la vie réelle. Alors à l'Asile ! A l'Asile avec les fous !"

Je suis en paix à te lire. En paix dans mon intranquillité.
Tu n'as pas peur ou, en tout cas, pas de cette peur qui vous salit l'âme, et cela me donne beaucoup de force pour continuer à avancer - comme les enfants de la vidéo qui surplombe ce texte sublime.
Il serait criminel, pour moi, de vouloir défaire les fils de ce texte et impudique. Comme si l'on voulait dire les raisons d'un texte de Peake. Effloraison de la conscience. Secret dialogue des âmes entre elles. Il est une île. Beauté extrême et courage, voilà ce qu'il m'évoque. Ce dont j'ai besoin, ce que tu m'offres, mais pas seulement, car ton Amitié est une des 5 choses auxquelles je tiens en ce monde.
Pour tout, merci.