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samedi 22 mars 2008

Et après, vint le crépuscule...

Ma mémoire est comme la vieille maison de mon enfance. C'est une maison dont j'ai rêvée à 8 ans, peut-être 9, le chiffre sera incorrect et vrai à la fois. Une maison délabrée, sans cuisine et sans salon, mais avec une chambre et une chambre.
Et encore une chambre.

C'est une maison un peu sombre, la lumière n'y est pas la bienvenue. La lumière du soleil est trop brutale et trop blessante, il faut, ici, de la douceur et seule cette toute petite lumière, à travers les trous et autres fentes des volets en bois toujours fermés, est accueillie avec joie. Dans la maison, quelques fantômes, et des souvenirs.
Il faut, quand on ouvre la porte du Manoir, se vêtir de façon convenable. Il faut, par exemple, mettre une robe de circonstance, une robe noire et chiffonée, et serrer ses cheveux dans un chignon. Le chignon doit être imparfait. Il faut laisser des mèches flotter dans l'air.
Certains souvenirs ont un visage humain, d'autres une odeur, et d'autres encore une voix. D'autres sont des tableaux. Le visage humain se rappelle à nous, et le flou de ce visage peut effrayer un peu, quand au détour d'un couloir, on se retrouve face à lui. On touche du doigt le fantôme, et l'on en viendrait presque à plaindre, si la compassion faisait partie du caractère, ce pauvre fantôme dont le visage s'efface.
Et puis, on se rappelle, et on se dit que Satan, ou les Dieux, fait bien les choses. Un souvenir est un souvenir qui est un souvenir. Sur le dernier souvenir, de la poussière. La poussière se pose sur bien des visages, mais jamais elle n'altère, ou embellit un visage ausi joliment que celui du souvenir.
Un léger sanglot dans la gorge, parce qu'elle, dans le Manoir, se rappelle, en soufflant sur la poussière, que le visage a été beau, à une certaine époque de la vie, qu'il y avait des promesses d'éternité dans ses yeux, des paroles amoureuses et amicales au bord des lèvres. Certains souvenirs continuent de parler. L'un d'eux tourne en rond dans la chambre numéro 1, et ses lèvres remuent dans une régularité mécanique. Il y a encore quelques années, on entendait l'écho de ces paroles. En s'arrêtant sur le pas de la porte, on sait, même en tendant l'oreille, que plus rien ne nous parviendra. Devant le visage aveugle, la lâcheté lui fait tourner les talons, et un peu échevelée, elle marmonnera en montant les escaliers que c'était ainsi, qu'elle n'a pas eu de courage. Et qu'elle ne sait même plus si cela la touche. C'est si loin, c'est si près. Non, vraiment... elle ne sait plus. Ou ne veut plus savoir, plus y penser, oublier.
Dans toutes les chambres, des placards. C'est ici l'antre de Mme Barbe Bleue. Ecrit sur les portes des armoires, toutes en bois, toutes immenses, des promesses et encore des promesses. Ce sont les promesses des autres, car elle se targue de ne jamais en faire. Si elle en fait, elles restent rares. C'est bien cette rareté qui l'emplit d'un sentiment de fierté ridicule. Très vite, elle referme la porte, avec fracas.
Une promesse, là, une promesse rouge sang - rouge carmin, n'a pas été tenue. Elle n'a pourtant jamais écrit dans cette armoire. Oublier l'armoire, refermer ses portes.
La curiosité la pousserait à l'ouvrir à nouveau, car elle sait qu'il y a, à l'intérieur, la dépouille d'un quelconque souvenir qui un jour, a tenté de l'approcher. Une rose tombe à ses pieds. L'amour des roses n'est plus assez fort, piétinons-la. Ou peut-être parce que cet amour est trop fort... piétinons-la encore plus. Encore plus. Le talon claque sur le parquet et on tourne le dos. Trop de promesses effraye. Les fausses promesses comme les sincères. Que les gens apprennent enfin à dire non, quand elle n'aime pas se l'entendre dire.
Un loup est caché dans toutes ses promesses. Un loup aux yeux quémandeurs d'amour. Elle est toujours enfant quand le loup la tente. Aucune belle parole, juste l'amour et la demande d'affection dans ses yeux affamés, et cette écume aux lèvres. Un amour affamé. Dans les éclairs jaunes de l'oeil de l'animal, le reflet.
On se souvient qu'à une époque, on était comme le loup. Qu'on l'est toujours. Affamé. Affamé de désirs en sachant que ce trop plein d'amour finira par noyer.
Elle sourit en songeant que mourir de désirs sera un beau tombeau. Le sien.
A une certaine époque, elle n' était alors qu'un tout petit louveteau se battant pour son territoire, car un autre louveteau, venait de faire son apparition. Le petit louveteau au pelage brun roux n'avait pas détesté, au premier abord, le petit louveteau au pelage blond cendré. Le sentiment du louveteau au pelage brun roux était paradoxal : une indifférence melée de curiosité. Ensuite, elle avait écrit, partout, son nom à elle. Dans les cahiers, dans sa tête, sur les murs.
Elle relève la tête et voit ce nom inscrit, sur un miroir. Une rage s'empare d'elle, une presque rage. Des envies de sang, l'envie de tuer ceux qu'elle aime. Ils auraient ainsi, une bonne raison de l'abandonner. Avant qu'ils ne la tue.
La Mort, dans la troisième chambre, a l'odeur de la colle.
C'est un souvenir particulier. Le premier souvenir de la Mort. Cette chambre voit sa fenêtre donner sur les falaises de Bretagne. On sent l'embrun. On entend le vent crier et hurler, car ici, le vent ne fait que crier et hurler. C'est une constante. Sur les falaises, une silouhette fragile et sombre malmenée par le vent. C'est un pasteur. Dans le salon, un cercueil fermé. C'est la chambre de la mort, et l'on se rend compte, assise par terre, les yeux rivés sur l'entre-bâillement de la porte, que la Mort a toujours rôder dans cette maison. Peut-être a-t-elle toujours rôder dans cette famille. Les ombres des disparus sont partout. Celles des enfants, des plus vieux. La menace qui fut un temps sur la tête de louveteau au pelage blond cendré.
Un souvenir dans un souvenir. Un jour, un jeune prêtre.
Un prêtre qui fut son premier éclat de joie, le premier éclat de beauté pure et parfaite en dehors de son monde. Il est désormais certain que l'amour éprouvé pour ce jeune prêtre lui donna l'envie folle de voir les gens derrière leurs oripaux, leurs sourires et leur tranquilité. Ceux qu'elle aimait. Que les autres s'écartent de son chemin.
Elle avait décidé, après avoir lue l'histoire des Diables de Loudun, qu'il serait son Urbain Grandier. Elle esperait que les femmes mouraient de désir en l'entendant. Elle esperait qu'il n'en brûlerait jamais.
Il l'emmena un jour, elle et seulement elle, dans la forêt derrière le couvent. Parce qu'elle, elle avait osé le lui demander, à table, un jour. Elle se souviendra à jamais de son regard à lui, à cet instant. Dans cette forêt, il y avait un cimetière. Un cimetière étrange, un tout petit carré désordonné, entre quelques arbres. Le cimetière des Religieuses.
Des croix penchées, des herbes folles, des pierres, un tableau du passé. Elle était restée silencieuse, pour ne pas gâcher le silence. Elle avait souri. Elle avait d'étranges sensations. Son coeur battait si vite. Il s'était penché et l'avait regardé dans les yeux. Un visage grave. Il l'avait serré dans ses bras quand elle fut prise de tremblements.
On ne sut jamais pourquoi elle avait tremblé, surtout pas elle, et on comprend toujours très tôt que la Mort arrivera toujours trop tôt.
Et la Mort, c'est cette odeur de colle, quand on ouvre le cercueil au milieu du salon, au son des pleurs et des cris des autres louveteaux "ne fais pas ça !".
Le louveteau au pelage brun roux en gardera toujours comme une raideur.
Les morts sur les lits provoqueront chez elle un désespoir profond et une incompréhension infinie. Si cela m'arrive un jour pense-t-elle à cet instant, je me lèverais au dernier moment. Au dernier moment je ferai la nique à la Mort.
Elle s'est préparée à la Mort des Aimés, et peut-être, apprendre à y survivre. La première étape est accomplie. Elle ne sait pas si elle reussira à...
Et à trois heures du matin, elle en gardera comme une réticence à aller se coucher.
Certaines chambres, comme la quatrième, ont des relents d'alcool et d'auto-destruction.
Si je n'invente plus, dit le louveteau brun roux, je me tuerai.
Si je n'invente plus,
répond le louveteau blond cendré, je boirai !
Ricanements à deux. Regards d'adultes qui ne s'inquiètent plus. Ils ne sont plus Nomades depuis longtemps.
C'est une salle de destruction. De chaos. C'est les regards effrayés des autres petites filles. Quand elles répondirent Prince Charmant, elle répondit Grand Méchant Loup. C'est la chambre de l'Envie, brûler sa main sur la flamme de la bougie. Monter tout là-haut et regarder le vide.
Le vide se remplit et s'embellit toujours.
C'est les départs et les retours, et le bruit qu'elle hait, et le pistolet dans les mains d'un homme et la métamorphose de louveteau en Maman Louve. Bien malgré elle. Une métamorphose si lente et tellement naturelle qu'elle ne fut même pas douloureuse. Drôle de souvenirs que ceux-là. Cette chambre est dangereuse. Et elle, elle est toujours en danger, sur le point de chuter, sur la corde raide, dans les flots.
N'être sûre de rien est si doux. Est- ce doux ? c'est du moins une ivresse, comme un long sourire qui tombe vers le bas.
Refermons la porte sur nous. Vivons heureux dans une maison heureuse.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ma Lily, il y a dans ces quelques mots, le long de ces quelques lignes une telle intensité, que mon cœur meurtri s'est remit à pleurer, doucement comme ce petit garçon qui à connu certaines pièces dans une autre maison des souffrances
Ce petit texte est probablement l'un des plus beau et des plus troublants que j'ai eu l'occasion de lire durant mon existence tourmentée...
Merci pour tout et pour milles autres choses que tu ignores et ne sauras jamais..
Je t'embrasse affectueusement, cachant ces larmes qui écument mon cœur et coulent doucement sur mon visage fatigué.

Holly Golightly a dit…

Mon Amie. Je connais très bien cette maison et cette odeur de colle. J'avais 16 ans et ce texte parle tellement bien de moi. Sensation terriblement étrange que tu as le pouvoir de lire en moi, alors même que tu parles de toi ou d'une autre que toi, mais qui te ressemble, ou encore d'une étrangère. Universel et singulier. Force vertigineuse de ton écriture qui trouve toujours son chemin. En toi et dans les autres.
Ma maison a des briques rouges et elle revient souvent dans mes rêves de nuit ou ceux qui sont éveillés. En lisant ta prose sublime, je comprends autre chose sur moi-même.

fred a dit…

Ta maison, je la connais. Ce n'est pas la même, mais c'est tout comme... La maison des souvenirs enfouis qui laissent sur les murs leurs moisissures. Ta maison, un petit garçon que je connais bien l'a rencontrée... Elle était dévastée, mais le petit garçon courait à travers les salles vides et les couloirs délabrés, jusqu'à tomber en arrêt devant un autre garçon, plus grand que lui. Cet autre garçon, il l'a réalisé dès qu'il a passé une main curieuse sur sa joue, n'était autre que son grand-père. Alors, l'enfant a fui... Une part de lui hante les murs de cette maison... Où est-elle aujourd'hui ? Existe-t-elle encore ? Oui, cette maison est celle de son esprit...

Pendant la lecture incantatoired de ton texte, d'autres images m'ont traversé : la petite fille de "Tideland" et celle de "Paper house"