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lundi 23 juin 2008

The Amazing Sisters Sutherland

Les Soeurs Sutherland ne sont pas vraiment des inconnues pour qui s'intéresse aux Freaks, ou au Cirque de Mr Barnum.
Sept jeunes filles sorties d'un tableau, avec des cheveux balayant leurs chevilles, brunes ou châtains clairs, jouant et dansant devant un public déjà conquis, conversant ou racontant des histoires, avant de leur tourner le dos et de défaire leurs chignons dans un même geste pour laisser tomber les rideaux de soie que sont leurs parures. Le rideau de soie est un paravent, pour ces jeunes filles que l'on dit timides.


Elles viennent d'une famille relativement pauvre (du moins, c'est ainsi que l'écrit la légende) mais cultivée, originaire de Cambria, petit village désormais connu sous le nom de "Ferme Sutherland", une communauté rurale près de New York. 
Leur père est le Révérend Fletcher Sutherland, politicien à ses heures, écrivain et musicien à l'heure de ses loisirs, (et que l'on tenta, dit-on, de supprimer deux fois pour ses vues politiques), leur mère est Mary Brink Sutherland, musicienne également, et c'est elle enduira les cheveux de ses filles d'un onguent de sa composition : l'odeur en est si atroce que les camarades de classe s'en plaignent à longueur de journées. 
Le couple s'unit en 1843. Très tôt, les enfants Sutherland expriment un fort penchant pour la musique. Le père encourage alors ses enfants dans cette voie. De fait, il semble que chacun d'eux soit doté d'un talent inné et de voix magnifique. Les petites chantent à la chorale de l'Eglise (tous étaient membres de l'Eglise protestante Episcopale, elles y furent confirmées le 5 janvier 1858), parfois dans les environs, lors de fêtes. Quand elles ne se produisent pas, il n'est pas rare de les voir toutes jouer ou se reposer dans le jardin familial. De leur père, elles hériteront un sens aigu des affaires, et on passera sous silence le marketing forcené du père qui inventa bientôt un produit miracle pour les femmes désireuses de posséder elles aussi une telle chevelure. Vaste fumisterie qui entache la féerie.
Toutes auront ce sens des affaires, sauf deux : la veuve éplorée et celle que l'on considère folle.


C'est Elizabeth et Lionel qui m'ont ouvert, à nouveau, le chemin qui mène aux filles du Réverend Sutherland. Tout n'est parfois qu'histoire de cheveux, ou de cailloux gentiment prétés par le Petit Poucet. Ou Tom Thumb.


Je suis en admiration devant la beauté évidente de ces jeunes filles, que ce soit Sarah (1846 - 1919), assise sur toutes ces photos pour donner l'illusion que sa chevelure est longue, elle qui a la plus courte. Sous son bras, une bible, qui l'accompagne partout où elle va. On la dit douce, sensible, mais aussi rude, avec des yeux bleus magnifiques, et si elle n'est pas la plus jolie du lot, elle semble n'en avoir cure. Elle joue du piano et l'on raconte qu'à cet instant précis, ses cheveux dénoués vibrent à l'unisson de son corps.


Isabella (ou Isabel ; 1852 - 1914) réputée pour son intelligence et l'optimisme dont elle fait preuve chaque jour... poète à ses heures, on imagina bientôt qu'il était impossible qu'elle fût du même sang que les six autres Merveilles : mince et svelte, sa morphologie n'était pas celle de ses soeurs... en ville, on jasa. Elle eut le coeur laceré quand son époux Frederick Castlemaine, qu'elle épousa à 46 ans alors qu'il en avait 27, sembla lui préférer sa cadette, l'espiègle Dora. Son coeur sensible fut definitivement brisé à la mort de son époux, victime d'une overdose de morphine (suicide ?). Alors, elle hanta des nuits entières le cimetière, assise près de la tombe de Frederick.


Victoria (1849 - 1902), royale comme son prénom, droite comme une impératrice, qui aimait à se parer de diamants et d'innombrables bijoux. Dès le début, elle est considerée comme la plus belle des sept, avec sa chevelure raide et noire de jais, elle qui avait la plus longue, et surtout, la noblesse de son port. Elle horrifia sa famille en épousant un jeune homme de 19 ans, Wesley Craw, alors qu'elle avait 50 ans. A sa mort, et selon sa volonté, Crossing the bar, le poème de Tennyson, sera lu.


Grace la pianiste (1854 - 1946) était réputée pour son sens de l'humour, son sourire narquois, et sa sociabilité. Fière de sa chevelure, elle se trouva une passion pour les ficelles que tiraient les managers dans l'ombre. Elle ne se maria jamais mais devint mère malgré elle, quand, au décès de l'une de ses soeurs, elle prit volontairement en charge ses neveux.


Dora (surnommée Kitty ; 1861 - 1925). Si pour le public, Victoria est la plus belle, elle est pour Barnum la plus jolie. Un visage enfantin et un rire que l'on imagine perlé, flirtant et dépensant sans compter. Active et tourbillonante, Dora vécu avec ses soeurs dans le Manoir Sutherland,  et aussi à Toronto, dit-on. Elle courait, sautait, riait, et c'est peut-être cet empressemement qui lui fit traverser, un jour de décembre, la rue sans voir le car qui allait à sa rencontre.
Mais deux surtout, en plus d'Isabel, ont toujours retenu mon attention.

Il y a d'abord Naomi (1858 - 1893).
Ainsi l'aurait présenté Mr Barnum :
The world renowned female Bass Singer, has the most massive hair ever worn by any human being on earth, and which envelopes her whole body as with a garment.
C'est la première des soeurs que j'ai rencontré, attirée par sa beauté étrange et son aspect iréel.


Les yeux de Naomi. Ce nez particulier, romain, semblable à celui de Mary, et cet air serein, ce sourire à la fois doux et moqueur.... quand on regarde Naomi, on a la sensation d'être happé au pays des merveilles. Naomi irradie. A 13 ans, elle charme déjà le monde. Du moins, c'est elle qui semble la plus talentueuse du groupe : les journeaux ne cessent d'écrire au sujet de cette voix profonde.
En me penchant sur ces photos jaunies, je m'aperçois qu'elle a le même sourire, aussi énigmatique, que Sophie d'Alençon. Cette force que dégage Naomi, à mes yeux, sur cette photo, était visiblement trop brûlante pour ce monde. Elle meurt à 35 ans seulement, laissant derrière elle un époux et quatre enfants, dont s'occupera sa soeur ainée, Grace. Le père de famille étant un manager très pointu, il remplace sa fille par une autre jeune femme, Anne Louise Robert. Interchangeabilité qui me fait froid dans le dos.
Un proche écrivit qu'elle était "trop humaine pour ce monde".


Et puis Mary (? - 1939), la mystérieuse Mary.
Surtout, surtout Mary.
C'est la plus jeune, mais sa date de naissance reste inconnue. Mary a de longs cheveux noirs et un air de princesse égarée, un visage de lune. Mary est une héroine gothique, qui arpenterait de longues heures les greniers. Ou le Grenier. Comme Bertha Mason, mais c'est dans sa chambre qu'elle fut le plus souvent enfermée.
Sur certaines photos, le regard de Mary est d'une dureté telle, presque masculine, que ce regard, à cet instant, est comme l'oeil du cyclone, une tempête qui semble ouvrir le voile entre les deux mondes. Si Naomi a le sourire mystérieux, Mary a le regard des vieilles âmes et des misanthropes. Une lucidité, une âpreté, la sensation d'y voir, comme dans un miroir, notre âme s'y refleter.
Quand Mary est enfermée dans sa chambre, durant de longues heures, l'on murmure qu'elle crie lorsqu'elle entend le cliquetis de la clef dans la serrure. On dit qu' il fait bon de ne pas fréquenter trop longtemps la jeune fille, qui a de biens étranges habitudes.
Echolalie.
Elle épelle certains mots, et répète ceux de ses voisins. Elle semble peu interessée par ce qui se passe autour d'elle, une attitude qui effraye ses proches. Elle chérit sa coiffure, raie au milieu, qui est un rideau quand elle n'ose affronter le regard des gens, se tient souvent à l'écart. Parfois, quand elle doit chanter de sa voix de soprano, elle oublie que c'est son tour, et se tait. On dit surtout qu'elle est un peu folle, les médecins donnent mille et mille raisons, peut-être même que sa longue chevelure, pour des épaules aussi fragiles et sensibles, en est la cause. Ce qui est assuré, c'est que cette longue chevelure lui causait de fortes migraines, et que ses soeurs en souffrirent, elles aussi.

Peu importe. On dit souvent que certaines personnes sont folles, alors qu'elles ont la beauté, là, au creux de leurs mains.
Comme mon Lohengrin qui construit et construit pour rester en terre d'enfance, les Soeurs veulent vivre à jamais en terre des Merveilles, ce pays de toutes les promesses. Elles gagnent bien, très bien même et dépensent sans compter. Une aide pour chacune d'entre elles, pour s'occuper de leur joie et fardeau. Alors l'une d'elle (laquelle ?) a l'idée un jour, de construire un immense manoir afin qu'à jamais, elles restent ensemble. Cette demeure sera la construction finale de leur carrière, le symbole de leur amour et de leur unité. Et cette demeure sera construite. Elle sera belle, et immense, et les gens des environs s'arrêteront quelques instants, alors qu'ils passent devant, pour la comtempler.


Car ici est un lieu de mystère, d'étrangeté. On murmure qu'à l'intérieur, certaines se droguent, d'autres boivent, qu'on s'y adonne au vaudou et à la sorcellerie, et que l'on s'y partage un époux. Ragots et inventions. Détestation envers celui ou celle qui aime à rester dans son antre, ou, plus simplement, qui gagne relativement bien sa vie. Le refrain est connu. On raconte même que des ambitieux tentent de pénétrer la maison pour couper les chevelures.
Qu'une vieille dame prenne son manteau pour se rendre au cimetière dans la nuit, qu'une autre soit enfermée dans sa chambre lors de ses crises de démence, cela est vrai. Quand l'un de leurs bien-aimés chiens meurt, elles font publier de long avis de décès dans les journeaux. Les soeurs ont décidé d'ignorer la religion dans laquelle elles ont été élevées. Indépendance est le maitre-mot. Peut-être la peur d'être épousée pour sa fortune, comme Grace. On peut leur reprocher cette intelligence du merchandising qui leur fit atteindre les étoiles. Mais pas la bonne étoile.


Ensemble, à jamais, quitte à tout perdre un matin. Pire, être séparées. Si la sorcellerie et le vaudou, le spiritisme n'ont probablement jamais existé en ces lieux, cela n'empêche pas le Diable de venir toquer à la porte pour réclamer son dû.
La mort prématurée pour l'une, les errements pour l'autre, l'accident pour la sixième, l'asile forcé pour la petite dernière que l'on arrache brutalement à son cocon. Peu importe si elle vit en elle, cette seule pensée me remplit, là encore, d'effroi.
Les Soeurs Sutherland sont un poème. D'un poème romantique empli d'étrangeté, elles auraient pu être les héroines... la Dame pourvue de tels attributs ne couvre-t-elle pas son amant de sa chevelure pour le protéger ? Et pourquoi pas, si l'amant est changeant, l'étouffer ?
Joie, richesse et fardeau. Riches, les dernières survivantes du clan Sutherland décéderont dans la misère. La maison des Merveilles brûlera. Cendres et poussières.
Les fils de ces couronnes sombres sont à portée de main. Attrapons celui que l'on veut, sur la tête de celle que l'on choisit. Fil imaginaire pour le labyrinthe.
Ma chevelure imaginaire de Fée est déjà toute prête.

5 commentaires:

Xoan a dit…

Non seulement tu sais me faire rêver, m'offrir de magnifiques moments d'émotions et souvent une part de folie douce si chère à mon âme, mais en plus tu es une merveilleuse conteuse, et je suis très sincère pour avoir eu la chance de lire de nombreux petits billets postés ici ou là racontant la vie de tant d'êtres somptueux, différents et attachants.
Encore une fois chère Fauna je te suis reconnaissant pour tout cela et peu importe si au matin blême il ne reste plus rien de moi, j'emporte avec moi ces petits bouts d'histoire pour qui sais, un jour où l'autre rencontrer ma Fuchsia, ma Mary ou ce Lionel qui me ressemble parfois quand j'affronte le regard inquisiteur des autres.

Merci...

Lamousmé a dit…

je sais bien que tu n'ecris pas ici pour être lue et complimentée mais....que c'est beau!!! ;o)

Holly Golightly a dit…

Tu sais si parfaitement faire vivre les défunts, mon Amie...

Anonyme a dit…

Merveilleux billet qui me fait découvrir un univers que je ne connaissais pas!
Je découvre tout juste ton blog, de fil en aiguille, et assurément je viendrai te lire régulièrement! :)

Anonyme a dit…
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