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mardi 27 mai 2008

Les nuits étranges d'insomnie

A 3 heures du matin, parfois 4, je me découvre insomniaque.
A l'heure de me mettre au lit, vers Minuit ou 1 heure, car j'ai toujours un peu de mal à aller me coucher, je reprend mon fil imaginaire, me glisse sous les draps et prend la pose que je préfère.
En chien de fusil. Position foetale. Le bras sous la joue, les genoux hauts, les jambes croisées, des jambes artistiques. En boule, comme les chats, le nez dans la peluche défraîchie.
Et je pense.
C'est toujours à cette heure-là, l'heure appelée Heure de Tombal; parce que c'est à cet instant là, j'en suis sûre désormais, que Lord Tombal a la première fois étendu ses ailes; que les pensées les plus incongrues me viennent. La nuit est étrange, si les pensées sont toujours noires, elles sont rarement tristes. Tout au plus angoissantes. L'angoisse, et l'angoisse de cette angoisse, et l'angoisse du pire. Angoisse est un mot très laid à prononcer. J'angoisse sur ce "goi" qui ne veut rien dire, et quand bien même il veut dire quelque chose et que quelqu'un me le prouve, je ne le croirais pas.
J'angoisse sur les futures douleurs à venir. Celles de la tête, elle qui pulse sans jamais s'arrêter, et surtout celles du coeur, qui pulse au même rythme. Voilà au moins quelque chose qui s'accorde, le coeur et la douleur.
Fermer les yeux et rester immobile. Se retourner sur le ventre et regarder la fenêtre jamais fermée, parce qu'il y a toujours un petit garçon pour venir jouer un air de flûte. Les soirs de tempête, courir pour fermer les volets de bois, de peur qu'ils ne s'envolent, arrachés par Eole. Mais avant, prendre soin de pencher la tête dehors et d'en profiter. Et rire toute seule. Les soirs de tempête, je dors bien. Je me laisse bercer. Le petit garçon sera à l'abri ailleurs.
Ce soir, pas de tempête. Un peu de chaleur, et dans ma tête, un hurlement : "la chaleur ! comme je hais la chaleur !".
Soupirer. Pencher la tête, voir la lune. Ronde, pleine, Mère Vieillesse. Les amis sur les murs papotent. Celle qui a des fleurs dans les cheveux et un vase cassé dans les bras, celle qui a la voix la plus douce, murmure : "est-ce la peine de te retourner dans les draps, encore ? j'ai compté trois mouvements de jambes, deux étirements de bras, un grognement et deux soupirs, 6 tentatives de fermer les yeux."
Le tableau est perspicace.
Durant les nuits, les pensées volent toujours vers ceux qu'on aime. Les Morts. Le besoin de certains d'entre eux est presque viscéral. Penser aux ratés, parfois; aux abandons, quels qu'ils soient, souvent; ou au Grand Départ, presque tout le temps. Etonnement calme. Ce n'est pas une de ces nuits où l'on prie, en fermant très fort les yeux, pour pouvoir enfin, dormir. Ce n'est pas un de ces moments où la seule chose qu'on désire réellement, le seul luxe, est de juste dormir.
Un chat gris profite de l'hibernation mentale pour sauter sur le lit, agile, silencieux et débarrassé de son chapeau de mousquetaire et de ses bottes cirées, noble descendant d'un ami, le Chat Botté. Il enfonce une patte dans l'estomac, observe (a-t-il vu un petit garçon au sourire diabolique à la fenêtre ?) et s'allonge finalement sur la poitrine de sa "maîtresse", non sans lui avoir donné un coup de museau sur son nez long et pointu.
Ô Noble Titus, de retour de promenade dans la cuisine ?
Mrrrrrrrr... répond le Chat.
Ô Brave Titus, cesse de me pietiner le ventre....
Mrrra ? répond le Chat.
Infâme Titus, je ne suis point ton oreiller, ton paillasson, ton aire de repos !
Maoua, répond le Chat.
Il a dit Maman.
Il convient de chasser cette idée atroce.
Enfouir ses mains dans les cheveux, malaxer et masser. Quand je me frotte la tête de cette manière, je prends bien vite l'apparence d'un ours, qui ferait fuir le Sandman lui-même. Mais peu importe. Il y a des ours qui dansent dans les étoiles.
Satisfaction ultime quand on bande tous ses muscles, frotte légèrement ses yeux et enfin se détend, en poussant un gémissement étrange - celui que fait l'Ours, parait-il, en se réveillant dans sa grotte, ou sur son étoile. Les jambes retombent sur le matelas et les bras se croisent sous la tête.
Le Chat, dans le rayon de lune, observe. Je devine, dans les prunelles vertes, une forme de mépris. J'ai envie de dormir, sussure-t-il.
Jouer. Lever une jambe. La jambe retombe sur le matelas. A peine retombée, l'autre se lève. Si je plie les genoux, je fais du vélo. Les paysages défilent déjà devant mes yeux.

Se lever, le chat dans les bras.
Ou plutôt, ramper en dehors du lit. Entre attendre debout, ou allongée, un rayon de lumière, un léger rayon, ceux où l'on peut voir la poussière danser, il faut choisir. Se promener devant la bibliothèque, faire les 100 pas et attraper un recueil de John Keats, et le serrer très fort dans les bras, comme si ce livre était un enfant. Puis, s'assoir devant le Miroir. Satanée chose, aux entrailles éléctriques ! Je me découvre dépendante de toi comme je le suis de cette horreur. Et sortir une cigarette, la tapoter - habitude - sur le bureau. Et puis, geste mille fois répeté, l'allumer. Quand la fumée monte à la tête, aucune résistance. Auto-destruction enclenchée.
S'assoir, se relever. Tea Time. Ne pas oublier le breuvage de chaque heure, mon thé, mon précieux thé. S'il est trop chaud, attendre qu'il refroidisse un tout petit peu, mais juste un peu.
Entre Neptune et Saturne.
Devant le miroir, lire, se lire, un poème de celui qui écrit sur l'onde.
N'importe lequel. Un mot s'installe dans le coeur, un autre fait rempart à la douleur. Des gens écrivent. Qui est celui qui envoie des messages toutes les nuits, des messages qui n'ont jamais de réponses ? C'est inquiétant. Voilà un autre message qui arrive à grands renforts de trompettes, pour me dire que je suis vraiment bizarre, mais au fond, "je suis persuadé que vous êtes quelqu'un de gentil". Ricanements. A la poubelle. S'il s'était arrêté à la bizarrerie supposée (ou pas), je n'aurais rien dit. Question d'habitude. Mais soupconner que je puisse être gentille...
Le Monsieur s'ennuie vraisemblablement pour le faire remarquer.
Une autre lettre, là. Des histoires d'amours malheureuses. Ah ! Je n'ai pas le temps pour ça.
La nuit, j'irradie. Un sentiment de puissance se propage dans l'être tout entier, et peu importe les imbéciles qui continuent de m'ennuyer. Prendre le crayon - quand on le retrouve - pour écrire, écrire.
Et écrire.
La Nuit à la lune est toujours intense.
Aucun bruit, sauf le ronflement du vieux Chien. Parfois, un hibou. Le chant du hibou m'envoie des frissons dans l'échine et m'apaise.
Une petite musique de nuit, une musique classique. La voix d'un contre-ténor, ou un violon italien et fantaisiste. Une viole de gambe anglaise et quelques orgues faussement austères.
Sourire, comme le Chat du Cheshire. Attraper une idée ici, une autre là, et le fil se déroule de lui-même. Brûler d'un trop-plein, brûler comme ça, oui ! La seule brûlure noble, la seule brûlure qui vaille, peu importe Après.
Ensuite, dans la frénésie envahissante, devant le Miroir, les livres ouverts, dans les idées et autres Rêveries qui s'entrechoquent, une pensée plus profonde. Du moins, une pensée nouvelle qui mérite quelques secondes d'attention.
Laisser la cigarette se consumer, pendant que la tête dans la main, on imagine quelque chose. Et gare à ceux qui dérangeraient alors qu'on se retourne en nous-mêmes. Vite, le cahier, le crayon, les feuilles blanches, et celle-ci qui est tachée de quelques gouttes de thé ! Cette nouvelle idée sera un nouveau départ.
Un autre jeu aimé, pendant mes insomnies, consiste à fermer les yeux devant une feuille blanche, est de laisser partir l'imagination en ligne droite. La main, instrument alors indépendant et plein de vie, note rapidement tous les mots qui s'imposent à l'esprit, et ça commence ainsi : Feu joie qui suis-je pour investir le château fort dément des landes enfievrées embranchement.
Et ça continue ainsi.
L'horloge derrière, qui ne sonne que lorsqu'elle le souhaite, cette horloge mal huilée et décalée, fuit le temps autant que moi. L'important est d'oublier les apparences et de vivre en soi, disait Lady Gertrude. Quelque chose comme ça.
Une douleur, quelque part. Ici, l'embryon d'un souvenir triste. Encore ailleurs, des questions sans réponses. On a beau ouvrir des livres et questionner, jamais de réponses, encore moins de raisons. Celle-ci me boude parfois depuis que je l'ai oubliée, un jour de printemps, derrière un bureau d'écolier.
Là, mes Contes d'Outre-Tombe.
L'important est d'oublier les apparences. Et puis le reste. Savoir s'il faut écrire "peut-être" ou "sûrement".

5 heures et 16 minutes.
Five O'Clock and Sixteen minutes.
Quand un bruit que je connais bien, et pas le chant du hibou, parvient à mes oreilles, je tourne la tête vers la fenêtre. Attendre toujours un peu afin d'en être sûre, et réellement sûre, et puis,se lever, pieds nus, et l'ouvrir encore plus grande, dans un grand geste. Le Chat à côté, digne et raide comme Bastet, et un éclair, là-bas, tout là bas, à droite, là où le ciel est bleu roi, le vois-tu ?
Le tonnerre arrive. Les éclairs. Avec un peu de chance de la tempête, et beaucoup de vent. Après eux, la pluie aimée. Une allure de fin du monde. Le temps à la démesure de mes pensées. Ce serait le meilleur moment pour aller se promener.
Allons, tous ! à défaut de se promener, il est temps de se mettre au lit, en boule sous les couvertures. Laisser les livres ouverts sur le bureau, ne pas ramasser celui qui est tombé. Ne pas terminer sa tasse de thé. Voir dans le noir. Ecouter, entendre.
Dormir un peu, un court petit moment de repos dans les bras de Morphée, et se lever au matin, pour voir la rosée sur les brindilles d'herbe, et les flaques d'eau sur le bitume, les oiseaux qui s'envolent et peut-être un arc-en-ciel.

2 commentaires:

Xoan a dit…

Mes nuits d'insomnies ont une saveur proche des tiennes....il ne me manque qu'un facétieux Titus, que je salue au passage et des volets en bois.
Très joli texte sur ces moments pénibles qui parfois nous offrent un instant de grâce quand la plume et la feuille enfin s'enlacent ardemment..
A bientôt, ici ou ailleurs....

Holly Golightly a dit…

Beau, Ma Fauna.
La vie irrigue tes mots.
Je t'admire autant que je te porte d'amitié - ce n'est pas peu dire.
Celui-ci, également, je suis revenue le lire plusieurs fois, y trouvant des choses différentes à chaque fois, car la pensée se déporte d'un côté, de l'autre...