
Dans la rue, des détritus. Des petits vélos renversés sur le trottoir. Un gamin, le nez dans sa colle forte. Un autre montre fièrement ses muscles. Ces deux autres encore, mini cow-boys de Babylone, éructent et cassent tout dans la décharge. Et le petit bonhomme avec ses oreilles de lapin et son torse maigre, qui semble ne pas avoir mangé depuis des jours, et qui urine sur les voitures et joue de l'accordéon, et donne des coups de pied sur le grillage. Muet à jamais peut-être, tremblant de froid, sa cigarette entre les doigts. Il tremble de froid, ou il tremble, parce qu'il est à jamais le témoin de ces âmes mortes et endormies, qui ne savent pas où elles vont, ce qu'elles veulent, qui survivent sans en avoir vraiment l'envie. Et ça, c'est pire que tout. Manquer de désirs, mourir.
Dans le misérabilisme, il y a parfois de la beauté, surtout quand on ne vous fait pas l'offrande d'un mouchoir parce que vous allez pleurer, ou parce que vous allez hurler, tout ça c'est trop moche de toute façon, on ferme les yeux. Les Sans-Nom sont déséspérement humains. Les gueules fracassées, et grand-mère sur son lit d'hôpital qui ne vit plus alors même qu'elle respire, et la prostituée attardée dans son lit, avec sa jolie robe blanche, elle ressemble à une Princesse abandonnée d'un conte qu'on ne raconte plus, les midinettes blondes se collent du scotch sur leurs tétons de gamines et oublient le grand méchant loup, du noir sur une peau d'ivoire, et cet autre casse les chaises pour combler le vide de son âme, parce que presque tous ici, n'ont plus que la violence pour dire les choses, et cette étreinte entre deux âmes et l'une finira en larmes, c'est laid, c'est beau, et ça touche le coeur, et seulement si on a été perdus une fois dans ce qu'on appelle la vie réelle. Si les autres vomissent, quelle belle affaire.
Qu'ils vomissent. Ce sera l'épine dans leur coeur, quand d'autres auront l'envie qu'il pleuve encore un peu plus. Petite, quand il pleuvait, je pensais que Dieu pleurait et je regardais le ciel. Il pleure devant le coeur tordu et stérile des hommes, des femmes, marionnettes ridicules, et des chats crevés, et des enfants perdus, et surtout de ces deux derniers, parce qu'il n'y a plus de différences entre un chat errant bientôt mort, et un gamin perdu. Oui, Dieu pleure sur les erreurs et les regrets et les coeurs qui ne sont plus émus de rien, l'Enfer sur terre et le Diable est en première classe. Dieu a expérimenté, comme d'autres essayent d'expérimenter les mots, la caméra, et leurs pensées. Il y a parfois des échecs. Il y a surtout des échecs. Les échecs et les histoires sans queue ni tête, qui pourtant tendent le fil imaginaire sur lequel marcher en funambule. Comme toujours. Capharnaüm désenchanté, tendons vers le chaos plutôt que l'ordre. Pas parce que c'est plus drôle. Mais peut-être y a -t-il plus de place. Pour le coeur, et pour ouvrir les bras à l'autre, pour se rappeler que le banal peut être beau, comme le disait Diane Arbus, parce qu'il y a parfois des éclaircies, des vraies, de celles qui font rire. Quand il n'y a plus rien d'autre à faire, que le désespoir alentour, et le désespoir égoiste, font mal, et qu'on n'a aucune explication à donner, il n'y a plus que deux solutions. Se cacher les yeux, boucher ses oreilles et fermer la bouche, ou trembler encore un peu plus, sous la pluie.
2 commentaires:
Il y a parfois au détours d'une vie de très rares personnes qui savent parler aux âmes les plus meurtries, les nourrissant de mot aux parfums d'émotion et aux couleurs de songe, de billet à la douceur de folie et dont chaque lecture offre cette passion et cet envoûtement pour tout cœur affamé.
Tu es de ces rares personnes qui remplissent ma vie de petit riens mais qui sont pourtant de véritables trésors et me rappellent que chaque aube naissante n'est peut-être pas inutile.
Merci mille fois pour tout cela et pour tant d'autres choses encore...
Je t'embrasse.
Ma Fauna, je partage l'avis de Celticxoan. Tu es de ces personnes, rares, trop rares, qui ne se rencontrent plus.
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