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jeudi 8 janvier 2009

The Nobodies

Et comme les chats errants, et comme les enfants aux oreilles de lapin et la pluie qui tombe. Si je pouvais décider du temps, la pluie tomberait tous les jours.
Certains trouvent certaines choses très laides. Peut-être qu'à travers la pluie, ils verraient la beauté dans l'horreur. Et l'horreur dans la beauté. Comme un tourniquet.
A Xenia, le cyclone a tout détruit. The worst disaster I've ever seen dit Nixon.
Et le cyclone, une fois passé, ne signifie pas toujours Renouveau. Quand le cyclone passe, on n'a parfois plus assez de force pour continuer à faire semblant, faire semblant pour que le voisin sache que non, on n'a pas perdu notre courage, on est toujours aussi valeureux qu'avant. Ca peut arriver dans les bons jours. Et puis, il y a les mauvais jours, et quand le cyclone passe dans ces mauvais jours, les épaules s'affaissent et c'est le signal pour le voisin : je n'ai plus de force. Abandonne-moi là.
Alors à Xenia, ceux qui étaient dans les bons jours sont partis. Partons vers l'ouest et recommencons, Avant désormais, c'est une page blanche, amputée de quelques années. Oublions. Ceux qui ont une voiture sont partis, et ceux qui ont une famille sont partis, et ceux qui avaient mieux à faire sont partis. Ils sont tous partis après avoir vu la fille et son crâne brisé. Ils sont tous partis, sauf la lie de l'humanité. Les laissés pour compte, les laids, les ratés, ceux qui avaient tout perdu, bien avant que le cyclone passe, et les déficients, les albinos et les tueurs de chats errants.

Alors à Xenia, on passe le temps comme on peut. Ici, c'est l'un des cercles de l'Enfer. Xenia est à jamais condamnée. On y nait, on y vit, on y meurt. On ne s'échappe pas, sauf en faisant des bulles dans le bain. C'est la ville que les gens biens contournent pour ne pas avoir à la traverser, et pour ne pas avoir à voir ces gueules sales, ces incultes qui y promènent leur spleen.
Un chat mort, deux chats morts, tuons ce troisième et emmenons-le chez le boucher. Il faut bien manger, et en plus, on sera payé. Et cet autre, pour être payé, réellement celui-là, prostitueras sa fille handicapée. C'est outrageant, et alors ? Il se peut qu'elle ne se rende même pas compte de ce qui se passe. Il se peut. Les deux soeurs, jumelles aux cheveux presque blancs ont perdu leur chatte noire. Lui pleure dans les bras de cet homme à côté de lui, cet homme qui comme Sammy Davies Jr, cumule les tares : nain, juif, gay et noir.

Dans la rue, des détritus. Des petits vélos renversés sur le trottoir. Un gamin, le nez dans sa colle forte. Un autre montre fièrement ses muscles. Ces deux autres encore, mini cow-boys de Babylone, éructent et cassent tout dans la décharge. Et le petit bonhomme avec ses oreilles de lapin et son torse maigre, qui semble ne pas avoir mangé depuis des jours, et qui urine sur les voitures et joue de l'accordéon, et donne des coups de pied sur le grillage. Muet à jamais peut-être, tremblant de froid, sa cigarette entre les doigts. Il tremble de froid, ou il tremble, parce qu'il est à jamais le témoin de ces âmes mortes et endormies, qui ne savent pas où elles vont, ce qu'elles veulent, qui survivent sans en avoir vraiment l'envie. Et ça, c'est pire que tout. Manquer de désirs, mourir.
Et voilà qu'il ne se passe rien. C'est comme dans la vie, ou dans certaines vies, de certaines personnes. Une vie avec plusieurs chapitres, certains sont plus ennuyeux que d'autres. On aimerait les passer plus vite, comme on tourne plus vite les pages d'un roman. On ne peut pas. C'est rageant. Beaucoup de gens pensent que leurs vies sont bien remplies, mais ils ne se sont pas réveillés du rêve qu'ils vivent. Et quand ils se réveillent, c'est pire. Ils pleurent.
Le petit bonhomme aux oreilles de lapins sait vivre, et il sait rêver. Pour preuve, il meurt sous une rafale de balles imaginaires. Réalité, imagination. Le milieu n'existe pas, et le milieu n'est pas toujours juste.

Dans le misérabilisme, il y a parfois de la beauté, surtout quand on ne vous fait pas l'offrande d'un mouchoir parce que vous allez pleurer, ou parce que vous allez hurler, tout ça c'est trop moche de toute façon, on ferme les yeux. Les Sans-Nom sont déséspérement humains. Les gueules fracassées, et grand-mère sur son lit d'hôpital qui ne vit plus alors même qu'elle respire, et la prostituée attardée dans son lit, avec sa jolie robe blanche, elle ressemble à une Princesse abandonnée d'un conte qu'on ne raconte plus, les midinettes blondes se collent du scotch sur leurs tétons de gamines et oublient le grand méchant loup, du noir sur une peau d'ivoire, et cet autre casse les chaises pour combler le vide de son âme, parce que presque tous ici, n'ont plus que la violence pour dire les choses, et cette étreinte entre deux âmes et l'une finira en larmes, c'est laid, c'est beau, et ça touche le coeur, et seulement si on a été perdus une fois dans ce qu'on appelle la vie réelle. Si les autres vomissent, quelle belle affaire.

Qu'ils vomissent. Ce sera l'épine dans leur coeur, quand d'autres auront l'envie qu'il pleuve encore un peu plus. Petite, quand il pleuvait, je pensais que Dieu pleurait et je regardais le ciel. Il pleure devant le coeur tordu et stérile des hommes, des femmes, marionnettes ridicules, et des chats crevés, et des enfants perdus, et surtout de ces deux derniers, parce qu'il n'y a plus de différences entre un chat errant bientôt mort, et un gamin perdu. Oui, Dieu pleure sur les erreurs et les regrets et les coeurs qui ne sont plus émus de rien, l'Enfer sur terre et le Diable est en première classe. Dieu a expérimenté, comme d'autres essayent d'expérimenter les mots, la caméra, et leurs pensées. Il y a parfois des échecs. Il y a surtout des échecs. Les échecs et les histoires sans queue ni tête, qui pourtant tendent le fil imaginaire sur lequel marcher en funambule. Comme toujours. Capharnaüm désenchanté, tendons vers le chaos plutôt que l'ordre. Pas parce que c'est plus drôle. Mais peut-être y a -t-il plus de place. Pour le coeur, et pour ouvrir les bras à l'autre, pour se rappeler que le banal peut être beau, comme le disait Diane Arbus, parce qu'il y a parfois des éclaircies, des vraies, de celles qui font rire. Quand il n'y a plus rien d'autre à faire, que le désespoir alentour, et le désespoir égoiste, font mal, et qu'on n'a aucune explication à donner, il n'y a plus que deux solutions. Se cacher les yeux, boucher ses oreilles et fermer la bouche, ou trembler encore un peu plus, sous la pluie.

2 commentaires:

Xoan a dit…

Il y a parfois au détours d'une vie de très rares personnes qui savent parler aux âmes les plus meurtries, les nourrissant de mot aux parfums d'émotion et aux couleurs de songe, de billet à la douceur de folie et dont chaque lecture offre cette passion et cet envoûtement pour tout cœur affamé.
Tu es de ces rares personnes qui remplissent ma vie de petit riens mais qui sont pourtant de véritables trésors et me rappellent que chaque aube naissante n'est peut-être pas inutile.
Merci mille fois pour tout cela et pour tant d'autres choses encore...
Je t'embrasse.

Anonyme a dit…

Ma Fauna, je partage l'avis de Celticxoan. Tu es de ces personnes, rares, trop rares, qui ne se rencontrent plus.