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jeudi 11 décembre 2008

Marius Jacob...

Né Alexandre Jacob, s'en alla d'une très belle façon : au moment où il l'avait décidé. De la morphine dans le corps, pour lui et pour le chien. Avant cela, il écrivit un petit mot pour dire à ses amis qu'ils n'avaient pas de soucis à se faire, puisque la vaisselle était faite et le linge repassé, il suffisait de trouver les deux bouteilles cachées pour boire à sa santé.
Une phrase d'un prêtre, un prêtre qui s'est déjà promené ici et qui a les traits imaginaires de Grandier, me fit réfléchir pendant des semaines. Cette phrase était : quand Soeur M. a quitté son corps.
Ce prêtre béni n'avait pas dit que Soeur M. était décédée. Il n'avait pas dit que Soeur M. était morte et que son corps servait de garde-manger et de maison de fortune aux vers. Il avait juste dit que Soeur M. avait quitté son corps.
Nulle fatalité ! Soeur M. a décidé de quitter son corps. Après tout, elle n'y voyait plus grand chose, derrière ses lunettes à montures noires, elle tremblait quand elle offrait des bonbons, son sourire aussi, il tremblait. C'était une vieille carcasse, et le plus ennuyeux est qu'elle devait trainer cette carcasse lente et rouillé, alors que son cerveau, lui, bouillonait, sautillait de tant de vivacité.
Alors moi me dis-je, tout cela était fort simple. Soeur M. en avait eu assez de sa carcasse. Tous les matins, elle la rabrouait sûrement. Cela ne pouvait plus continuer ainsi. Il est intolérable que le coeur et l'âme rajeunissent quand le corps décide de suivre la nature. Alors Soeur M. avait décidé d'en finir. La seule chance (ou malchance) de Soeur M. était sa foi. Elle savait parfaitement quel chemin elle allait prendre, quand elle aurait décidé de quitter son corps. Droit vers la lumière et le sourire du Bon Dieu qui lui ouvre les bras. Je ne verse qu'une seule larme pour Soeur M. : elle ne s'est pas posée de questions.
Marius / Alexandre avait du penser la même chose que Soeur M.
Et d'autres après eux, se poseront la même.
Partir pour de mauvaises raisons, voilà qui met le coeur au bord des larmes.
J'ai longtemps cru que The Drowning Man était dédié à Shelley, qui lui, eut une belle mort. Les poumons pleins d'eau et un recueil de Keats dans la poche, surpris par la tempête et rejeté par la mer. Rêvons tous à une mort aussi violente et solitaire. Pas d'humains pour assister au trépas.
Mais non, non. Et non, appris-je plus tard. Cette chanson était dédiée à mon double de papier. Il parait qu'elle est le double de plusieurs vieilles femmes, jeunes femmes, jeunes filles, et même de certaines qui ne sont pas encore nées ; ces femmes-là, à mes yeux, n'existent pas.
Fuchsia d'Enfer se tient, pendant que l'eau monte, à sa fenêtre. Elle tend la jambe et rencontre le vide. Quelle enfant ne s'est pas tenue au dessus du précipice pour y plonger ? Certaines n'ont pas plongé, mais leurs âmes se sont envolées par cette ouverture et leurs âmes, qui doivent être comme une légère fumée grisâtre, survolent le pays pour s'écraser à l'endroit choisi. S'y écraser ou s'y déposer, il n'y a pas tellement de différences.
A 10 ans à peu près, une vieille tante m'annonca mon décès. Elle le lisait dans les cartes de son jeu de tarot. Elle me dit que ma mort serait violente, et j'aurais 24 ans. Personne ne s'en offusqua. Ou plutôt, personne n'y fit attention. Cette tante me lança la carte du Diable et me dit "voilà ! c'est ta carte".
Je pris la carte, sans comprendre.
Je ne suis pas morte à 24 ans, mais peut-être a-t-elle fait une erreur de chiffre. A 24 ans, en m'observant dans un miroir, je me dis que j'avais battu la Mort. Pour cette fois. Et ça me fit rire, parce que c'était stupide de prêter attention aux mots d'une vieille tireuse de cartes, et s'il y a bien quelque chose que l'on ne bat pas, c'est la Mort. Tout au plus gagne-t-on une course. Mais c'est vraiment du vent. Le Fou avait raison.
Fuchsia meurt de manque d'amour, dit-on. Si seulement ! Fuchsia meurt parce qu'elle a prématurément vieilli. Elle a cadenassé les portes de sa géographie intérieure. Pas de nourriture pour celui qui est affamé et il se déssèche. Il faut une certaine dose de courage pour se dire que les portes fermées finissent toujours par s'ouvrir, d'une façon ou d'une autre, plus tard. J'ai une nette tendance à pousser et claquer les portes, dans ce monde que l'on dit réel. A croire que j'ai le Diable, ou peut-être un Ange, à mes trousses. Je tapote tout doucement à la porte dans le vrai. Et si l'on n'a jamais tricoté dans ce monde qu'on dit réel, on tricotera dans le vrai. Et mieux ! Après quelques hésitations, on découvre avec une pointe de fierté et d'étonnement mélangés que l'on est la plus douée des tricoteuses. On est Arachnée. Les cheveux se lèvent, et c'est de la magie, chaque mèches est patte d'araignée. Les cheveux se glissent sous les portes, dans les armoires, à travers le miroir. Et on tricote, tricote. Et on se rappelle, on reprend possession de tout, et on est reine. Fuchsia a oublié pour un court moment de tricoter. Mais voilà ce qui se passe, quand l'âme est atteinte. On ne retourne jamais en arrière, oh non ! on prend juste une autre porte en suivant une mèche de cheveux. On y va sans un mot, il faut l'ouvrir. Comme je lui en ai voulu, à mon double, d'avoir joué, et de ne pas m'avoir attendue pour que je lui donne une bonne raison pour, non pas rester, mais jouer à autre chose. Dans ce monde que l'on dit réel, j'en ai voulu à une autre personne. Un homme, dans la famille, quand j'étais plus jeune, et que l'on disait fou. Ca ne dérangeait personne. Il y a beaucoup de fous dans l'arbre généalogique. C'était un bel homme dans le passé, et il l'était toujours après, même quand son visage grimaçait, avec une chevelure blonde un peu bouclée, comme celle de Petit Frère quand il était petit. C'était un homme qui avait des cicatrices sur le corps, et un pistolet caché dans un tiroir de son armoire. Il parlait d'une drôle de façon, en chuchotant. Un chuchotement qui semblait toujours se fracasser contre un souvenir. Quand il riait, son rire partait dans les aigus, et son rire fusait dans le ciel azur, puis soudain, il se brisait et il se mettait à pleurer, sans raison, ou peut-être en avait-il une très bonne. Il jouait magnifiquement du piano, et je lui demandais un jour où il avait appris à jouer comme ça, et il me disait "tout seul", sans quitter son clavier des yeux. Et il s'arrêtait brusquement, en me regardant droit dans les yeux, et jamais un regard ne me déstabilisa à ce point, en me disant que je devrais jouer d'un instrument moi aussi. Ca faisait fuir les ombres dans les yeux. Alors je restais assise à côté de lui et il me disait qu'il allait jouer pour moi les notes les plus graves, parce que j'étais sa préférée. Au début, quand il se mettait au piano, ses mains étaient comme les ailes d'un oiseau sur les touches. A la fin, il les martelait de ses poings en hurlant. Et il chuchotait, toujours. Il disait qu'il aurait du se venger. Et il avait un tic bizarre, un hochement de tête sur le côté, tout le temps. On le disait fou, je le trouvais beau. Je leur aurais réappris à rire ou à sourire, à tous les deux, moi qui ne sais pas raconter les choses qui sont drôles, et m'étonne à chaque fois de rencontrer des gens qui sont encore moins drôles que moi. Vous allez apprendre à rire, disait un Loup des Steppes. Pour atteindre l'humour supérieur, cessez d'abord de vous prendre trop au sérieux. Mais je ne pense pas que le Fou se prit jamais au sérieux. Même si sa douleur l'était. Les douleurs sont sérieuses, surtout quand elles sont les cicatrices de l'enfance, et c'est ça qui rend fou. Je leur aurais montré de la main le chemin qu'il faut prendre pour le Grenier. Je l'aurais aéré, pour que l'Ombre de l'Autre, et celle du père, appartiennent au passé. Imaginez un monde imaginaire où les animaux se meurent, et les fleurs se fânent, et les fantômes s'évanouissent. Essayons de combattre ce malaise. Sauvons-nous de la noyade.
Et cette maladie, pour Fuchsia, c'est la nature. Elle en souffre, et le Chaperon rouge en souffre, et Sissi en souffre. Il y en a d'autres, et moi. C'est cette déchirure, et cette violation : devenir femme. Que l'on oublie une fois pour toutes nos devoirs envers la nature, et mourons comme des enfants. Un enfant ne meurt jamais dans son lit. Le Fou est mort, une balle dans la tête. Je le vis, un jour, assis sur un fauteuil, le pistolet contre la tempe, les coudes sur son genou, les yeux fermés, plissés. Il l'avait déjà décidé. Par jeu, on le décide. Et moi, je me suis déjà suicidée à plusieurs reprises. Un jour, sur un rocher, là-bas, avec des amis. On se demandait de quoi diable nous avions peur. J'étais si triste, à cette époque, bien plus que maintenant. J'ai regardé la mer, en contre-bas, et je me suis dit que ça, c'était une chose très effrayante. La mer m'appelle mais les fonds marins me terrorise. Ca n'était pas haut, de là où j'étais. Mais pour moi, ça l'était suffisament pour avoir peur. Alors j'ai sauté. Le vertige a quelque chose de grisant. C'était comme l'oubli, un désir de quelques instants, quelque chose de plus grand que tout ce qui m'entourait. Je n'avais qu'une envie : que l'eau m'engloutisse. Une autre fois, un couteau à ma portée, à m'observer dans le miroir. Je pris ma tignasse brune dans les mains et coupais le tout avec le couteau. Ma mère cria d'horreur en me voyant arriver dans le salon. Maman, si je n'avais pas coupé mes cheveux, je me serais coupé autre chose. Alors, ce n'est pas la peine de crier.
Mourons de mort violente, ou apprenons à mourir, je ne sais plus trop. Mourons des fleurs dans les cheveux et un rêve dans les yeux. C'est un coup à prendre, puisqu'on meurt tous les jours. Le temps s'en charge, et les douleurs violentes, et les déceptions, l'abandon et la colère. Tout ça, c'est violent. Tout ça rend fou. Tout ça, c'est un paquet de bonnes raisons. Je suis curieuse de cet Après, quand j'aurais décidé de quitter mon corps.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Apprendre à mourir... Ou apprendre à vivre sachant qu'on va mourir. À son arrière-petite fille qui lui demande s'il y a une vie après celle-ci, Antonia (Antonia's Line) répond : On ne danse que cette danse-ci. Il y a, chez vous, une conscience aiguë de l'éphémère et de la fêlure originelle. J'aime votre tristesse qui n'est, tout compte fait, que l'envers de la joie. Elle m'atteint en ce lieu que vous nommez l'enfance et que je trahis trop souvent. Vos billets m'y ramènent. Merci, Fauna, d'exister.

Holly Golightly a dit…

Ma Fauna. C'est tout ce que je peux écrire aujourd'hui en te lisant. Ma Fauna.