Et c'est la nuit, et j'essaye ce jeu de l'écriture qui consiste à écrire sans filets, à attraper tous les mots qui tombent, qui ont grillé mon cerveau, et j'imagine des rats parce qu'il me semble avoir rêvé de rats cette nuit, mais finalement ils étaient réels, puisqu'ils couraient dans le grenier, ou sur le toit, j'ai levé le nez de mon livre et je me suis demandé ce qui allait se passer si jamais ils grignotaient les murs, qu'ils y fassent un trou, tous empilés les uns sur les autres, montagne vivante et frémissante, et qu'un jour en entrant dans ma chambre j'en écrase un sous ma botte, un qui s'était arraché de sa montagne de chair, s'était aventuré comme ça, juste pour voir le monde, je dirais qu'il n'avait pas à être là, peut-être que c'est ce que je me dirais, leurs pattes la nuit font comme la pluie qui tombe sur une vitre ou bien l'eau dans la gouttière, mais ce n'est pas de l'eau, c'est eux, et après avoir grignoté les murs, ils mangeront un homme, le premier qui vient, le premier homme, et l'un d'eux se lovera dans son estomac, et un autre entrera de force dans sa bouche, frottant sa fourrure sur les dents, sur la langue, aiguisant ses griffes sur le palais et il ressortira par l'orbite vide, il a dévoré l'oeil, la place est conquise. L'un des rats grimpe sur mon lit et me dit qu'il est désolé si parfois il est méchant, et je suis désolée si parfois je suis méchante mais il se peut qu'alors je vous mente, mais vous vous en fichez et moi aussi.
Je me rappelle un jour être sortie dans la neige les mains dans les poches pour oublier que j'avais mal au ventre à force de ne pas crier, parce qu'il m'arrive de ne pas crier. Je suis habillée d'une peau de monstre et parfois, les gens rient, je ne vois pas ce qu'il y a de très drôle là-dedans, parce que ma peau est au moins aussi belle que la leur. Alors oui, je ne sais rien faire, je n'ai même pas le permis de conduire, parce que la seule fois où j'ai conduit, j'ai renversé la voiture dans un fossé, et puis, je ne sais pas faire convenablement la vaisselle, parce que je casse un verre à chaque fois, et je ne sais même pas m'ennuyer poliment parce que si je m'ennuie, je me dessine des moustaches de gentleman sous le nez, et je le ferai aussi si c'est vous qui m'ennuyez et alors je serais malpolie. Je ne sais pas écrire correctement, parce qu'il parait que je prends des substances illicites pour écrire (et ceci est un grave affront à mon imbécilité), et puis je suis égoiste parce que je fume et que je quitterai ce monde bien avant vous, mais mon suicide différé ne veut pas dire que je ne vous aime pas, et je suis méchante parce que je ne sais pas répondre à la gentillesse, et j'aimerais parfois que les gens, quand ça leur arrive, soient moins gentils avec moi, parce qu'après ils pensent immanquablement que je me fiche d'eux, mais c'est juste que je suis handicapée et tétanisée face à la gentillesse, je suis un ours, alors j'ai un geste nerveux et je ferme les yeux, très fort, souvent, ça explique les rides entre mes deux sourcils. C'est la faim et le refus. Ici, on fait des choses idiotes dont on retire une immense fierté, on en garde la trace et on s'entend dire qu'on était folle et qu'on ne doit plus jamais le refaire alors sauver le monde sera pour demain, et puis on fait des choses un peu moins amusantes mais on les tait dans un dernier sursaut de pudeur et c'était l'époque où on ne ressentait plus grand chose et il fallait réactiver ça et j'ai arrêté à la première douleur et à l'étonnement qui a suivi et je suis désolée d'avoir oublié le goût des crêpes de Grand-Mère.
Demain soir, minuit, deux heure du matin, les rats se promènent encore dans le grenier et sur le toit, c'est une masse noire et informe, elle crache dans le trou creusé, elle se love dans votre estomac et vos orbites.
1 commentaire:
Mon Dieu, ma Fauna...! Tu vois, tu me redonnes de la vie rien qu'en lisant ce texte. Il n'y a que toi qui puisses me retenir quand ça va si mal.
Tu es toute écriture, le reste... et puis tu es une Amie véritable, solide, rare. Moi, je sais.
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