Pierrot agite les bras et ses bras sont des ailes. Comment l'oublier, que les manches sont les oiseaux qui font s'élever dans les airs celui qui a toujours le nez pointé en l'air ? L'exercice est ridicule, c'est un sabotage, à l'abordage de soi-même.
C'est que Pierrot s'en va et Pierrot revient, c'est que Pierrot a refermé son livre, mi-rageur, mi-amusé, parce qu'il sait que tout a été dit et qu'il ne pourra pas ajouter grand-chose, et puis ça l'amuse un peu au fond, parce qu'il a regardé autour de lui et s'est aperçu que rien ne pouvait être meilleur que dans ce livre. Il en rigole, parce qu'il a quand même vu quelque chose dans la rue qui l'a fait sourire, et il s'est demandé quelle pouvait être la vie de cet homme qui marche si vite, le Diable à ses trousses peut-être, l'homme qui marche vite et la tignasse en bataille, ça l'a fait rire parce que ceux qui courent le font rire en même temps qu'ils l'étonne. La mélancolie lui est tombé dessus, brusquement, en passant devant la jeune fille qui pleurait, sur le pas d'une porte d'un quartier qu'il connait bien : il n'a jamais vu personne y pleurer. La musique dans ses oreilles et dans son coeur convenait bien aux larmes, il a déjà dépassé la jeune fille qu'il voudrait faire marche arrière pour aller lui parler, mais il se met à sa place et continue son chemin, parce qu'il aurait mis une balle dans la tête de celui qui serait venu l'ennuyer, s'il avait été elle, s'il avait été à sa place à elle.
Pierrot se rappelle le bouquin et se demande si c'est sa deuxième peau, et s'il faut l'arracher à lui, prendre le couteau et tranquillement découper la peau, inciser puis ôter. Inciser puis ôter. Il serait alors en sang mais il n'aura jamais rien écrit de meilleur, non pas que le meilleur soit ce qu'il cherche, puisqu'il n'en connait pas le sens, mais il sait ce qu'est saigner et alors, ça ne devrait plus être si mauvais. Pierrot écrit, comme ça, parce qu'il ne sait pas faire grand-chose, il est piètre cuisinier, et piètre amant, et piètre tout, mais il sait tenir la plume entre ses doigts et c'est déjà pas mal, il ne connait pas sa propre force, si jamais il a été fort un jour, et puis il s'en fiche, il fait confiance à sa bonne étoile là-haut, qui lui a écrit hier pour lui dire de faire un voeu. Il écrit sans notion du bon et du mauvais, il ne croit pas que ces mots-là puissent faire du bien à celui qui les lit, il a toujours pensé que la plupart des romans étaient des lettres que les auteurs s'écrivaient à eux-mêmes. Parfois, c'est pour chercher la faille, et pour la colmater, si c'est possible, cette petite faille qui saigne toujours. Et ça saigne, et ça saigne, alors l'auteur cherche toujours, à tâtons, trouver la faille, cette petite blessure, la guérir si possible, vivre avec dans le cas contraire. Parfois, c'est pour vomir la douleur. Le reste ? Il ne sait pas, il n'a pas d'idées fixes. Un jour il pense ceci et le lendemain il pense cela, le jour il est sidéré par ce qu'il a écrit, le soir, il s'en veut, la nuit, il déchire pour tout recommencer. Plus souvent qu'un autre, il hésite, il réfléchit, se rassure et puis hésite encore, mais il y a cette chose dont il est sûr et alors il est un peu heureux.
Puisse Pierrot devenir un livre, puisse cette peau vieillie par les excès et l'angoisse être le parchemin de sa vie, son petit bout de vie de pas grand-chose, puisse, surtout, Pierrot sortir de cette peau qui l'ennuie, lui qui se déconnecte à la moindre pensée, à la moindre vision. Plus besoin de cette enveloppe qui lui fait perdre son temps !
Pierrot écrit et Pierrot insiste, il sait qu'au bout de quelques heures, ça ne voudra plus rien dire mais hé ! c'est de cette matière dont il est fait. Toujours trop et il faudra couper, son regard revient toujours à ce couteau qui est fait d'argent, l'argent pour tuer le loup-garou qui est en lui. Penser à l'homme qui court et à la jeune fille qui pleure, ils ont ce quelque chose qu'ont les voyageurs dans les Gares. Pierrot voudrait vivre mille vies mais Dieu lui a dit il y a bien longtemps qu'il n'en aurait qu'une. Ce n'est pas que Dieu soit avare, mais chacun son tour, les places sont numerotées et celle qu'il vit est déjà bien entamée. Pierrot continue d'agiter ses bras, ses manches. C'est pour voler et trouver un diamant, se dit-il, c'est pour avoir la sensation de vivre quand tout s'engourdit. Et ça donne envie de vivre, même si le péril est proche. Et de rire, même si l'horreur n'est pas loin. La Comédie n'est pas finie.
1 commentaire:
Enfin, un nouveau billet !
Je suis heureuse de l'avoir gardé pour le lire ce matin.
"(...) il a toujours pensé que la plupart des romans étaient des lettres que les auteurs s'écrivaient à eux-mêmes." C'est terriblement vrai et, dans le cas contraire, cela ne vaut rien. Mais le prodige advient aussi lorsque, quelquefois, ces lettres adressées à soi poste restante trouvent un autre lecteur qui pourra s'y reconnaître.
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