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mardi 6 mai 2008

Fur

Je précise en préambule, comme le film le fait grâce à un carton, que cette oeuvre ne propose pas une biographie juste de la formidable artiste qu'était Diane Arbus, mais plutôt une phantasmagorie à son sujet.



Je précise également que le personnage de Lionel Sweeney est inspiré de Stephen Bibrowski, un freak ayant "travaillé" pour Barnum, un parmi d'autres.
Rebaptisé Lionel the Human Lion, entre autre surnom. Un homme entièrement recouvert d'une fourrure dorée, parce que sa mère, disait-elle, a vu un lion, à moins que ce ne soit un loup, alors qu'elle était enceinte : le choc et l'effroi ressenti devant la Bête lui fit accoucher d'un enfant-lion.
Un homme beau et fascinant qui parlait et écrivait 5 langues. Une élégance rare, tant physique que morale, contrairement à ce qu'on lui demandait de faire lors des tournées de Freakshow : jouer à la bête, susciter la peur, peut-être le ridicule. Je le sais drôle, et l'imagine bien un livre dans un sac avant de se déguiser pour monter sur scène. Mon affection pour lui est immense, et je sais qu'une Amie l'aime comme moi.


Le film débute à la fin des années 50.
Diane (prénom qu'il faut prononcer à la française), vit à New York, dans un immeuble huppé d'un quartier chic. Mariée à Alan, photographe de mode important dont elle est l'assistante dévouée, Diane a deux filles, Grace et Sophie. En ce jour, Alan organise, avec les parents de Diane, fourreurs de leur état, un défilé dans leur appartement.
Au milieu des mannequins, Vénus splendides à la fourrure, Diane s'active, court à droite et à gauche, allume les cigarettes de l'une et de l'autre et n'a même plus le temps de fumer la sienne. Ses parents continuent de donner leurs précieux conseils, la Mère s'agace de voir que sa fille soit si mal habillée, si peu désirable, son mari la remercie et l'embrasse en se demandant ce qu'il ferait sans elle.
Aucun ne se rend compte de l'angoisse qui étreint son coeur, de l'impasse dans laquelle elle se retrouve, et dans laquelle elle étouffe.


Diane constate, le même soir, entre débordement de larmes et poings crispés, qu'un camion de déménagement s'est arrêté en face de chez elle. Très vite, elle remarque un homme masqué, masque qui, accompagné des objets et meubles étranges que l'on monte dans l'immeuble, l'intrigue.
Voici venir le nouvel arrivant, son nouveau voisin.
Lorsque l'homme lève les yeux, comme attiré par le regard qu'il sent sur lui, et que leurs regards se croisent l'espace d'un très court instant, Diane a le coeur qui bat la chamade. Cet homme masqué, en à peine une petite minute, fait bouilloner en elle la sève qui s'était tarie.
Elle décide un peu inconsciemment, curieuse et impatiente comme une enfant, qu'elle ira le voir. Elle est décidée à le photographier. En se rendant chez lui, grâce à une clef venue merveilleusement jusqu'à elle grâce à un conduit, Diane découvrira un Freak, un Monstre de foire du nom de Lionel Sweeney, un homme atteint d'hypertrichose, rencontre qui changera sa perception de la vie et de son art à jamais.


Ce que je prefère, c'est aller là où je ne suis jamais allée.
Diane Arbus.


Diane voyage. Un voyage émotionnel.
Elle habite au rez de chaussée, il habite au dernier étage, presque sous les combles. Elle monte les étages de l'immeuble qui la sépare de sa nouvelle passion. Un silence religieux l'accompagne. En bas, à l'image de la famille Arbus, tout es propre, beau, éclatant, les escaliers sont spacieux. Une image parfaite de bonheur lisse et tranquille, fermée à clef par ses habitants.
En haut, c'est différent. Toujours plus haut, la peinture au mur s’efface et s'écaille, les couleurs s'assombrissent, le papier peint est déchiré, un état de dégradation mais surtout le parfum du passé, comme si personne n'était monté là depuis bien longtemps.
Les escaliers se rétrécissent, les escaliers tournent en rond... des escaliers qui peuvent se rapprocher de ceux en colimaçon de la mémoire tel que l'expose Virginia Woolf dans le merveilleux Orlando. Il n'y a plus de lumière, sauf quand Lionel ouvre la porte.


Dès que la porte nous est ouverte et qu'un regard brun se pose sur Diane, sur nous, Fur se dévoile sensuel. Une relecture de la Belle et la Bête.
On s'assoit, on se regarde, on se parle. L'un, malade de surcroît, est chasseur.
L'autre est la proie consentante.
L'un est ouvertement manipulateur, et foncièrement intelligent... il comprend, avant même que la Belle n'en parle, que cette femme-là n'est pas comme les autres. Qu'elle a des désirs enfouis, des envies de folie, une rage d'aimer tout ce qui s'éloigne des conventions, qu'elle étouffe dans ce milieu réglé comme une horloge et trop conventionnel pour ce qui se cache en elle. Il sait, bien avant elle, tel un magicien, tout ce qu'elle cache. Le dialogue est franc et impudique. Il la pousse à avouer ses pulsions, ses intérêts, ses manques.
Elle, l'exhibitionniste, se plait à dévoiler sans fards ses tourments et ses désirs, sexuels ou amoureux. Lui, le voyeur, qui a un télescope pour espionner sa voisine, une freak sans bras, l'écoute, voit, la voit. Débarrassé des apparats et du paraître, il ne la juge ni ne la condamne.


Sensualité dans les regards échangés, sensualité dans le regard donné à l'autre. De la curiosité réciproque (si Lionel est le monstre, il dira, et cela est juste, que sous son apparence "normale", Diane est plus monstrueuse que lui) naît le désir, et du désir naît la passion. Un jeu sur l'inconnu si attractif, si excitant, le mystère, un jeu où l'on risque de se brûler les ailes, ou de perdre ce qui est déjà acquis... l'éclatement de la cellule familiale.


Lewis Carroll est bientôt convoqué : un lapin blanc sert d'animal de compagnie à Lionel. La clef dans les conduits ouvre les portes d'un monde inconnu. Le livre en lui-même est lu par Sweeney à l'une des filles de Diane.
Lionel, lui, vivant dans une sorte de maison faite de bric-à-brac, et ceci est familier, échappe à toutes notions de réalité. Autre temps, autre lieu, ou peut-être celui des Songes.

L’œil, le troisième œil.
Ce que l'on voit et ce que l'on devine. Diane, dans son bel appartement, mariée à un homme doué et mère de deux jolies enfants, jeune femme par hérédité riche et oisive, pourrait mener, comme le laissent suggérer les parents de la dame, une vie heureuse.
Tout lui est donné pour être heureuse.
Tout le monde semble lui hurler qu'elle devrait être heureuse.
Mais Diane s'étiole et se fane avant l'heure. Tous la voient, tous lui parlent, mais tous s'arrêtent à la belle façade qui leur est offerte. Petite robe bien repassée et boutonnée jusqu'au cou, dont les couleurs ternes semblent invariables, chignon impeccable, pas une tache, pas même un poil en trop. Diane, attirée par la pilosité, vue comme un élément de dégoût et de rejet par la bienséance, un manque de civilité, embrassant violemment le poignet velu de son époux avant de s'arrêter parce qu'il en rit, a appris à canaliser, inconsciemment ou non, ses désirs et pulsions animales.
Le chignon pour empêcher les mèches folles de voler, la petite robe pour passer inaperçue.
Société des apparences dans laquelle évoluent ces riches familles New-Yorkaises, représentation quasi-parfaite des couvertures pour Vogue qu'Alan prend en photo, sourires figées et bonheur éternel, couleurs acidulées et l'on s'arrête à la couverture.


Ouvrir le livre prend trop de temps, fait trop souffrir, oblige à trop de choses... il y a le regard de l'autre, qui juge et blesse, le regard comme une mini caméra intérieure qui est le miroir de l'enfant qui continue de vivre en nous ... poussée en ce sens par Lionel, Diane revisite ses propres souvenirs : adulte, elle ouvre une minuscule porte dans son cerveau, sa mécanique intérieure. Ici, à l'abri des autres, elle observe ses souvenirs, mais de loin, comme on regarde un vieux film, comme Alice est condamnée à observer Wonderland parce qu'elle est bien trop grande pour y entrer. Redevenue enfant, elle se rend compte que l'attrait de la bizarrerie était en elle depuis le début... son attirance spontanée pour la beauté d'un petit garçon défiguré, de son observation mi-clinique-mi angoissée d'un clochard mort sur un banc, et ses désirs de mort, cet attrait morbide qui la pousse à grimper à la fenêtre de son immeuble, sur le point seulement, de se jeter en bas. Ou plutôt, de s'envoler. On devine toujours très vite quand le monde qu'on nous propose, et son étroitesse, ne sont pas pour nous.

Le lien, l'héritage. Chacun laisse son empreinte, qu'elle soit figuré ou propre, en quelqu'un, ou quelque part.
Les deux filles du couple sont les enfants de leurs parents : Grace, l’aînée, pense fermement que quelque chose ne va pas avec sa mère. Elle a hérité de son père, ou peut-être est-ce cet âge où les conventions se doivent d'être respectées. Elle est sévère, déjà une petite femme. La mère, dans son esprit, est condamnée puisqu'elle ne répond pas, ou plus, à son statut de mère et d'épouse.
Au contraire, Sophie, la cadette, a en elle une forme d'étrangeté, qui la poussera, comme sa mère avant elle, à monter les escaliers à la rencontre de l'homme qui s'y cache. Son étrangeté, du moins, ce que les gens considèrent étrange, est donné dès le début : sa première apparition dans ce théâtre, elle la fera déguisée d'un costume de lapin , roulant sur une trottinette dans des couloirs trop étroits pour elle.
Contrairement à Grace qui ignorera, superbe et hautaine, Lionel, l'enfant brune, déjà un peu animale, se plaira en sa compagnie, justement dans ce qu'il a de monstrueux. Son regard à elle est celui de l'enfance : elle grimpe sur la pointe des pieds jusqu'en haut, et rit d'effroi quand une voix grogne son prénom derrière la porte. Elle n'éprouve aucune peur au moment où il s'assoie sur son lit pour lui conter les aventures d'Alice. Lionel lui fera cadeau de son bien aimé lapin blanc. Un héritage.



Sophie peut être vue comme la réplique enfantine de Diane, se mouvant avec aisance et joie dans ce monde qui fut refusé à l'enfant que fut Diane. Lors de la soirée donnée par sa mère, elle est la seule à s'amuser et à ne pas être effrayée par les nains, les sœurs siamoises ou les géants qui l'entoure.
Si la passion de Diane pour l'étrange se mêle d'une attirance pour le danger, ou peut-être la perversité, celle de Sophie est d'une pureté absolue. Comme d'autres enfants avant et après elle, elle tend instinctivement vers tout ce qui sort des sentiers communs.
Peut-être que si Diane est attirée vers cela, c'est qu'elle n'a pas perdu les peurs, les angoisses, et les désir de l'enfant qu'elle était, l'enfant dans les vieilles bobines qu'elle repasse derrière ses yeux clos. Elle n'est plus femme, mais enfant, une enfant qui redécouvre le monde, empreinte d'une réserve naturelle, jetant des petits coups d’œil malicieux autour d'elle. Alan, lui, si bien intégré dans la vie, et Grace, déjà une petite femme rigide, ne peuvent tout simplement plus faire le chemin inverse. Et même quand ces gens le tentent, il est déjà trop tard. Quand Alan se rend compte que sa femme lui échappe, il se laisse pousser barbe et moustache, dans le but de lui plaire à nouveau. Le procédé peut paraître touchant, mais l'homme est définitivement cloîtré dans le monde de l'apparence.
Le leg de la famille est lourd à porter. Richesse, statut social, et jugements. Celui des autres, compagnons de route trouvés par hasard mais présence dont la future absence sera intolérable et atroce, permet de vivre et survivre. Le leg de Lionel à Diane sera sa fourrure, fourrure qu'il a rasée, cousue comme un manteau, cadeau du mourant à celle qui l'aime, et qu'elle ne quittera pas. La protection de la seconde peau, la protection de l'ami, son appartenance voulue à un monde qui est sien depuis le début. En dessous, et tout ceux qui ont une peau de loup le savent, elle est protégée.



Fur, en convoquant l'univers du conte et de sa symbolique précieuse, donne à voir un film qui se partage entre réalité et illusion, entre fascination et morbidité. Un film troublant, si l'on accepte de rentrer dans le jeu et dans ses facilités, troublant puisque mêle à l'infini des notions d'enfance, pureté du regard et tolérance vis-à-vis des autres, et surtout de la différence.
Ici, on ne parle finalement que de phantasmes considérés bizarres par la grande majorité... la fascination pour un cadavre, être nu au milieu de gens nus, et surtout, faire l'amour avec une bête, rêves et cauchemars des vieux enfants. Atmosphère troublante et troublée comme l'eau, jouant sur toute sa longueur sur les non-dits et les silences. Des silences qu'il est aisé de remplir.
Lionel, personnage à la fois de feu et d'eau, ne montre que rarement sa douleur et sa souffrance, évoquée là encore, uniquement dans les vieilles vidéos qu'il passe dans son antre, les vieilles photographies, et dans la voix, élément le plus important, peut-être, du personnage... il est impossible de vouloir se passer de cette voix qui ressemble à du velours. Les non-dits et les silences, la réalisation faussement académique de Shainberg donnent au film une allure d'écrin, une aura de secrets, ce que n'aurait pas désavoué Arbus, elle qui disait qu'un "photographe est un secret sur un secret. Plus il en dit, moins vous en savez".


Mais ne surtout pas faire l'erreur de penser qu'il s'agit d'un biopic juste et exact. Aucun biopic n'est ni juste, ni exact.
C'est une rêverie sur une artiste, une femme, qui finit par se suicider en 1971, s'échappant de la vie, plutôt que de s'envoler par la fenêtre, à grands coups de rasoirs et médicaments, pour calmer ses tourments.
Et la volonté de ne pas en faire un biopic cadenassé est si rare que je souris.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Il a l'air sympa...à voir!peu étonné, vu comme ça, que tu l'ai apprecié.

Fuchsia a dit…

Oui, et encore ! je l'ai apprécié et ai eu l'envie d'en parler, mais peut-être est-il un peu trop "bleu" pour moi (comprenne qui pourra).
Je ne saurai pas vraiment comment l'expliquer... peut-être trop pensé, trop réfléchi.
Je préfère mes films - et le reste - avec un peu plus de "folia" et d'imperfections.

Anonyme a dit…

Figure-toi que j'ai compris le terme "trop bleu"!!! :)

Xoan a dit…

Je te l'ai déjà dit ailleurs à quel point ce film m'a touché, surtout par son personnage de Lionel qui partage certaines similitudes avec un de mes visages, le plus intime, trop souvent dissimulé car trop effrayant ....
Merci beaucoup de me l'avoir présenté.

Fuchsia a dit…

Très heureuse de te l'avoir présenté.
Un jour, je ferais un beau topic sur lui...

Holly Golightly a dit…

Comme j'aime ta compréhension ce film!!! Te lire m'a redonné de l'énergie pour travailler, alors que c'est une journée difficile.
Merci ma Fauna, parce que ton regard sur les êtres et les choses révèle leur beauté, parfois cachée.

mia a dit…

Bonjour, c'est la première fois que je laisse un commentaire et simplement que ton billet sur Fur m'as donné l'envie de le voir. J'ai littéralement adoré, je suis un peu petit peu réticente sur la performance de Nicole Kidmann, elle semble toujours possédé la même expression, bien sûre c'est un personnage frois en dehors que Nicole incarne mais en même temps je n'ai pas senti qu'elle avait quelque chose de tordue en elle...J'adore Robert Downey junior belle performance! Un très beau film,de très beau décor et une belle histoire...Merci encore pour cette découverte et j'adore ton blog et tes billets sont toujours intéressants!