Pages

samedi 17 janvier 2009

Ils sont drôles,

ces besoins d'écrire.
Un besoin viscéral de crier quelque chose, de l'écrire en appuyant fort sur la mine. Et puis, rien ne se passe.
Rien, le néant, nada et zéro. Alors que ça tape derrière les tempes et derrière la cage thoracique et la main qui sert le crayon jusqu'à la douleur. D'habitude, c'est comme ça que ça marche. Et pourtant, rien ne se passe, comme si toute la sève avait été happée, ou pire, arrachée de mes entrailles. Les Dieux m'ont exaucée quand j'ai demandé un peu de repos. Les Dieux ne veulent pas me rendre mon fardeau. Est-ce Pan ? Ils m'ont enlevé les mots et l'urgence et il n'y a plus que ce vide, celui où on est perdu et où on se noye et que l'on essaye désespérement de combler. Parce qu'il doit bien y avoir un moyen. On m'a dit qu'il y avait toujours un moyen. Où mon regard se pose, je ne vois que tristesse et mort possible ou certaine, et puis...

Ces deux photographies de Bernd Preiml me ramène dans le Grenier. Sans lui, je sais bien comment se serait terminé l'histoire, le grand plongeon dans l'eau glacée. Elle doit être glacée à cette époque de l'année. J'aime bien ces fins comme un uppercut. Au moment où l'on s'y attend, c'est la dégringolade assurée.
Et donc, une vieille maison, et une autre jumelle, certes moins importante que cette autre, qui s'appelle Merricat Blackwood. Elle vit dans la lune elle aussi, elle sait parler aux animaux, et surtout aux chats, elle connait les poisons comme sa poche, et la nuit, elle se transforme peut-être en loup-garou.


Merricat ressemble à elle. Et la maison-château, avant qu'elle ne brûle, ressemblait à ça. Les photographies des vivants et des morts sur le mur, quelques fantômes pour nous serrer la main en guise de "bon réveil" plutôt qu'un "bon jour", et puis l'animal empaillé. Je ne sais plus si chez Merricat, il y avait cet oiseau, mais chez moi oui. Et il me faisait peur, la nuit venue. Je ne sais plus de qui venait ce cadeau. Peut-être qu'au moment où la lune l'éclairera, il se mettra à vivre. Peut-être n'a t-il besoin que du regard pour s'éveiller. Tous ces rapaces aux multiples couleurs, prêts à fondre sur moi, et leurs ombres m'enveloppent.

Je me rappelle le plaisir qu'il y a à ne pas sortir. Ne plus sortir. Rester là. A jamais peut-être. Je ferme le soir venu la porte à double-tour. J'aimerais parfois ne jamais la réouvrir. Sauf pour les promenades en forêt. Ou ailleurs, quelque part, là où le cerveau se consume, si c'est encore possible ailleurs qu'ici. J'ai des rêveries dans la tête. Ne pas souhaiter la bonne année, parce que je m'en fiche. Merricat a souvent l'envie de cracher sur les gens. Mais comme elle est bien élevée, elle se contente de les tuer en imagination. Et elle a le coeur soudain bien léger, d'avoir exterminé tant de gens. Ils peuvent bien continuer à chantonner sur son chemin, cette comptine jolie et cruelle, ou a la forcer à les regarder, ils n'existent plus. Et il n'y a rien de pire pour ces gens-là, que de parler dans le vide, sans une oreille pour y deverser leur fiel. Ca les énervent. Surtout les adultes. Les enfants oublient.

Merricat, une fois qu'elle referme les portes de la maison, sur elle et sur Constance, elle sourit. Elle la prend dans ses bras et lui dit combien, désormais, elles seront heureuses. Cette petite dame dit que Constance est jolie, et jeune, qu'elle mérite un renouveau. Elle mérite de sortir et de voir du beau monde, et de tomber amoureuse, parce qu'elle tombera obligatoirement amoureuse. Quand je regarde cette femme qui me dit ça, elle tombe raide morte. Ce qui est dommage, vraiment dommage, c'est qu'elle ne le sache pas.
Drôle de rêve, cette nuit. J'étais bien. Je marchais seule, les pieds nus dans la braise, et tout était néant. Ca ne changera pas grand-chose au monde du dehors, celui que certains appellent le réel. Dans ce néant, je perdrais au passage quelques petites choses que j'aime. C'est comme dans les jeux de hasards. Rien ne va plus. Malgré le courage et toutes ces idioties, vomir ces mots. Et avoir peur d'aller se coucher, ensuite.

Et alors ? C'est la vie.
C'est la vie disait ma grand-mère. Une espèce de résignation que j'aimais bien. Parce que j'étais cruelle, j'aimais bien la voir s'assoir sur son lit et dire "c'est la vie". Et elle regardait par terre. C'est la vie et c'est ainsi. Le découragement - le désespoir - dans toute sa splendeur et j'ai onze ans.

3 commentaires:

Holly Golightly a dit…

Lorsque je te lis, je me comprends mieux. Etrange, n'est-ce pas de sentir que l'Amie est comme une part de soi-même, un double, mais meilleur que soi.

Ceylane a dit…

Ma grand-mère à moi s'asseyait elle aussi sur son lit. Elle tressait sa longue natte avant de se coucher. Sa robe de nuit ne cachait si ses pieds (si petits!) ni ses chevilles gonflées qui la faisaient souffrir. Elle les massait parfois en gémissant : Dieu du ciel, Dieu du ciel. Une longue plainte qui ressemblait à une prière. Aussi vaine... Je ne voulais pas lui ressembler. Une telle résignation, non jamais. Je crois que vous et moi nous nous ressemblons, dans notre révolte et dans notre attachement à l'enfance. J'envie Holly qui a gagné votre amitié.

Xoan a dit…

J'aime tes mots, tes phrases et tes silences au bout de ta plume.
J'aime cette farouche volonté à dresser ton univers aux passion débordantes, aux fulgurances que je ne peux m'empêcher de faire miennes, bien que je sache ce qu'il t'en coûte. J'aime me perdre par ici pour lire ces mots, juste parce que souvent ils me font pleurer doucement et rire aux éclats désespérés.
Merci de nourrir parfois mon âme, d'émotions si essentielles à mes nuits.