La forêt, c'est là que dorment les sorcières, c'est là que les écureuils font leurs nids douillets, c'est là que le Monstre peut surgir derrière l'arbre tordu, et le loup dévorer le lapin.
Dans la forêt, les feuilles parlent, et il est très facile de les écouter, sauf si l'on est sourd, et encore. L'imagination fait le reste. En automne, elles coupent le cordon et tombent tout doucement, et peut-être discutent-elles philosophie comme dans les livres de Félix Salten, de la vie et de la mort, et du sanglot des violons, et puis, à terre, elles meurent, piétinées par les voyageurs inconscients. La chute ne tue pas.
Dans la forêt, il y a une brise douce, celle qui fait chanter les feuilles à l'unisson avant la chute. Il y a le son de la flûte, et c'est Pan bien sûr, qui, assis sur le roc de Morgane la Fée, se convertit soudain en Maître de Musique pour l'apprendre aux plus jeunes Faunes.
Il y aura toujours un petit Faune pour ne pas suivre la musique, et c'est tant mieux : il en faut toujours un, même au sein de la forêt. Il y a des enfants qui s'égarent et qui découvrent les fougères. Les fougères sont intéressantes parce qu'en plus d'avoir un nom agréable à prononcer, elles sont jolies, et ne reçoivent que peu d'affection : coincées entre deux arbres, on les ignore. Elles regardent le ciel, mais sont condamnées, le plus souvent, à regarder la terre, moite et marron, là où prennent leurs racines, là où les pieds s'enfoncent. Les arbres, la tête dans les nuages, ne peuvent pas tout voir. Et puis, il faudrait baisser la tête, et ça ne se fait pas quand on est majestueux. Le Chêne l'affirme : ne jamais ployer. Alors les fougères sont parfois les seules à voir que la Forêt est un immense cimetière.
Dans la forêt, on peut y passer des heures. Seul, on peut choisir son rythme. Le nez en l'air, le nez sur les chaussures, le plus lentement possible. On évitera de prendre les chemins balisés, les sillons y sont trop profonds, et quand il sera l'heure de rentrer, on pressera le pas, jusqu'à en avoir mal aux cuisses. Le moindre son, derrière, est signe de danger.
Dans la forêt, il y aura, peut-être, une rivière. Une rivière dans laquelle nagent quelques poissons auxquels on ne peut donner de noms, une grenouille, avec un peu de chance. Des herbes folles un peu partout, qui s'enlacent et quelques fleurs qui, comme les amants d'autrefois, périront d'amour. Peut-être qu'ici, Shelley, comme sur les rives de la Serpentine, est venu faire voguer un petit bateau de papier.
Dans la forêt, les enfants joueront à cache-à-cache, hurlant jusqu'à s'en faire peur, jusqu'à ce que l'un d'eux, le malchanceux ou le plus téméraire, se fasse attraper par la sorcière qui le jettera dans son chaudron, et dans ce chaudron, un mélange de venin de serpent et de sang de colombe. Elle pensait d'abord le transformer en rat, mais elle aura plus à manger avec un porcelet.
Dans la forêt, il y a le petit cimetière des Religieuses, ce petit carré aux tombes cassées, entre les failles d'une pierre, une fleur sauvage et rouge y grandit. Les nonnes y pleurent seules, comme elles ont toujours pleuré.
Dans la forêt, on cherche en vain là où vit le saule-pleureur. Dans la forêt, le renard est silencieux. Dans la forêt, il y a des sons et des chansons qui rappellent le mot Jamais. Dans la forêt, les feuilles meurent et le temps n'a plus d'emprise, les souvenirs qui s'y cachent sont éternels et la forêt elle-même est peut-être un immense coeur qui bat au rythme des pas. Dans la forêt, on se souvient du cri du hibou de onze heures et l'on sourit en voyant la cheminée de la maison à travers les branches d'arbres. A minuit, on regarde à travers la fenêtre ces arbres en se demandant sur quelle branche le hibou s'est endormi. Le ciel est noir. La forêt en été brille, littéralement. La forêt est un vaste cimetière aux arbres tordus quand vient l'Hiver. Des secrets cachés et des peurs que l'on tait, et des larmes que l'on oublie de verser.
Dans la forêt, il y a une horloge cachée parmi les arbres, étouffée, aimée peut-être, sous la végétation qui s'enroule autour de son bois ciselé. Elle s'arrête à une date, une heure, une année. Elle ne sera, jamais plus, aussi précise.
Cette horloge s'est arrêtée, je ne suis jamais rentrée.
3 commentaires:
Le temps me manque pour tout lire mais tout me plaît ici! Je vous lirai régulièrement désormais. Peut-être en silence mais je vous lirai. Heureusement que vous n'avez pas cédé à la tentation de fermer votre blog!
oui, tout à fait d'accord avec Mango. J'aime venir boire à la source de ce singulier grenier.
J'ai envie de ne plus rentrer, moi non plus, ma Fauna. En tout cas, je resterai toujours près de toi, tu le sais.
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