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lundi 7 décembre 2009

Ecrin noir

Se rêver comme la Comtesse de Castiglione, Virginia, qui avait tout sauf le naturel.
Être en représentation permanente et s'inquiéter devant le miroir, quand les premières rides font leur apparition.



C'est ce qu'a du ressentir la belle comtesse, un froid matin de novembre, et c'est ce qui a du lui donner l'envie de briser tous les miroirs de son appartement.
Peu importe si ces miroirs furent cadeaux d'amants, cadeaux d'amitié, offrande à sa beauté, offrande cher payée. La comtesse les a tous brisés, à coups de talons, et à coups de poing. Il fallait briser ce reflet qui n'était plus sien, puisque ces rides, elles ne lui appartiennent pas. Le marbre et l'albâtre ne se lézardent pas. Ces miroirs, on ne les traverse pas, ils ne sont que le reflet de la réalité cruelle et aussi froide que Novembre. Ils révèlent parfois plus qu'on ne le voudrait. Ils révèlent la peur et son cortège de désespoir. Elle sort la nuit pour ne pas être vue, pour ne pas présenter la déchéance qui est sienne, elle qui brillait en Dame de Coeur dans les bals. Le marbre est éternel. Une rose ne se fâne pas.



Une rose ne se fane pas, mais il y a quand même du plaisir à la voir se faner.
Plaisir féroce. Le plaisir de ne plus avoir de force, parce que ce quelque chose est plus fort que nous, et c'est le temps qui passe, et puisqu'elle le sait maintenant, autant s'abandonner derrière les rideaux noirs et les pétales de roses qui craquent sous le talon. La comtesse pousse un grand éclat de rire et sur ses mains, le sang qui coule de ses plaies, celles qu'elle a ouvertes et rouvertes en brisant le reflet, celui qui se fane devant le miroir, mais pas devant l'appareil. Lui, il vole. Elle pose son regard dur sur l'objectif et lui se rappellera ses yeux, et il se rappellera aussi qu'elle fut belle et désirée. Et la comtesse ne fuit jamais si on la désire. D'ailleurs, elle préfère partir plutôt que de n'être pas désirée. Et aimée.
La comtesse se cache et se dévoile.
Et désormais, elle sera artiste. Un coup de tête, une envie soudaine. La comtesse a toujours été capricieuse. Ces photographies seront son tombeau en plus de son nouveau terrain de jeu, et alors, elle n'a plus peur, parce qu'il n'y a aucune différence. Elle sera plus belle que jamais, plus belle même que lorsqu'elle fut mouvement, elle sera Tragédienne figée, elle sera l’œil inquisiteur, scrutant ceux qui la scrutent, elle sera belle et vieille, fière dans la souffrance, masquée, et elle dira la vérité de son corps et de son âme, et elle sera la veuve de sa beauté, elle sera la veuve de tous les hommes et jeunes éphèbes qui furent amoureux d'elle un jour.



La comtesse est sur l'autre rive, et elle a choisi elle-même de s'y rendre. Personne ne l'y a forcée, et elle est de toute façon trop rebelle pour obéir à qui que ce soit. Solitaire à jamais, elle creuse de ses mains fines la terre. La nature ne l'aime pas, et ne l'a jamais aimée. C'est bien pour ça qu'elle ne fut jamais naturelle, mais toujours opulente et parfumée, corsetée et joueuse. De l'illusion, et ce sera tout. Elle fixe l'objectif. Elle le fixe pour qu'il se rappelle à quel point elle est à vif, à quel point elle est triste, et elle se fiche si les autres disent que c'est une maladie, d'être aussi triste. Elle n'oubliera jamais.
Elle sait que la Mort la cueillera un matin de Novembre.
Et tant pis.
Tout est vain, sauf l'amour, et la fierté d'un regard âgé et brûlant, imprimé à jamais dans la rétine de l'autre, des autres. Personne n'oubliera. Mère Douleur enveloppée dans son châle pour oublier le froid.
Au détour d'un couloir, on ne verra plus que sa longue robe. Elle s'habille de noir pour être en avance.

1 commentaire:

Holly Golightly a dit…

Magistral. C'est le mot que j'avais sur les lèvres en finissant de lire ce billet.
En quelques mots, choisis à la perfection, dont chacun pèse le poids qu'il faut et ni plus ni moins, tu fais vivre le personnage devant nous et, que nous soyons ou non ses intimes, elle nous devient familière.
Superbe. Tu es un écrivain, ma Fauna.