d'éprouver ce que les plus grands héros de romans éprouvent !
La terreur indicible, la terreur qui prend aux tripes, l'angoisse irréelle, la Panique, enfin, parce qu'il n'y a plus qu'elle. Il n'y a jamais eu qu'elle.
Si un peintre bien-aimé nous peignait à cet instant, alors on aurait les mêmes traits que Courbet, les mêmes traits que l'homme de Munch, la main sur le visage pour sentir la vérité d'un autre, la matérialité. Ce sont de beaux visages, de ce côté-là du monde.
Le glissement dans le cauchemar. Le cauchemar n'est rien d'autre que ça, cet environnement aimé qui devient soudain, en une toute petite fraction de seconde, un lieu inconnu, un lieu dangereux où les macchabée dansent. Cet environnement aimé n'existe plus, c'est le néant. Il n'y a plus la douceur des couvertures, parce qu'elles n'existent plus, il n'y a plus la chaleur de l'ourson en peluche, et plus celle des chats, parce qu'ils ont abandonné ce lieu. Eux qui sont capables de voir ce que l'homme ne voit pas, ils ont vu l'ombre du Grand Dieu Pan et la Panique. Ils ont fui, et ils ont eu raison.
Les Anciens disaient que les succubes s'asseyaient sur le ventre des hommes et les étouffaient. Les sorcières hongroises, qui aiment à chevaucher tout et n'importe quoi, les étouffent puis les transforment en chevaux, à grands renforts de magie ancestrale, à moins que l'homme ne mue, de la façon la plus sensée qui soit, troquant sa peau d'humain contre celle de l'animal, échangeant son souffle court contre les naseaux enflammés du cheval, noir comme l'Enfer. Au moins, les Sorcières hongroises ont de la compassion et ouvrent les fenêtres à leurs victimes... les chevaux noirs peuvent respirer, ensuite, prendre une grande inspiration, souffler, et courir sur les landes ou dans les rues grises et chantantes de Budapest. Ils sèment la terreur chez les Vierges et les Fous.
D'autres ne laissent pas cette chance, puisque c'en est une.
Il y a une once de joie, dans cette Panique, une once de joie parce qu'une porte a été ouverte, une porte qui mène sur l'ailleurs, cet ailleurs qui fait s'animer l'ombre du tigre sur le mur. De la joie parce qu'on sait désormais ce qu'est l'indicible terreur. Peu ont cette connaissance. Plus besoin de sortir pour ça, et d'être agoraphobe. De toute façon, ce que l'on éprouve au fond de son lit est mille fois pire. Et ça, alors que la gorge se serre, on ne le soupçonnait pas.
Le vent souffle tandis que l'on étouffe, c'est la tempête qui fait rage, animée par Eole, qui a décidé de ne pas laisser l'humanité tranquille, alors il souffle tant et si bien que personne ne peut dormir, pas même se reposer. Tout le monde pleure et celui qui est lové dans ces bras-là ne peut surtout pas se laisser aller, puisque son cœur bat trop vite, et que ses bras sont engourdis, et que sa respiration est haletante. Le cerveau est tétanisé. Une seule idée fait son chemin dans cette toundra : il ne faut surtout pas dormir, on pourrait ne pas voir l'aube. Les murs de la chambre rétrécissent et les rats, à l'intérieur des murs, grattent tant qu'ils peuvent, espérant trouver une sortie derrière le tableau, et l'ombre du tigre hurle, et cet hurlement est la corde qui fait vibrer le corps entier. Ce corps ne vit plus que par cet hurlement. Les murs ont été détruits. La muraille n'a pas tenu sous les coups de griffe et de dent des assaillants. Ne reste que le vent qui souffle et la main de Pan qui se referme sur le cœur. Etat second. Presque une transe.
Les gouttes de sueur sur la peau sont des brûlures, et les muscles sont en pierre, nous ne sommes que les ruines de notre passé ou de notre futur, et il faut la bénédiction du Grand Dieu Pan pour nous le rappeler, quand on a tendance à oublier ces choses, distraits que nous sommes l'espace d'un instant.
Soyons vigilants. La Mort, la Faucheuse, the Grim Reaper, il n'y a plus qu'elle dans cet espace restreint. Les petits cachets blancs ont remplacé le laudanum, celui que prenaient les jolies Mortes du temps passé, parce que le plus grand luxe de certains êtres, ici, est de seulement pouvoir dormir. Dormir et noter sur sa tombe deux mots qui pourraient être Sister Sleep. Celle que le sommeil fuyait aurait aimé être sa sœur pour s'immerger dans les nuits douces, celle qui avaient été promises dans le passé.
Au lieu de ça, les nuits sont tissées d'étrangeté et de singularité, et la Panique n'est que la somme de ces nuits blanches, ces nuits d'insomnie, ces nuits comme des points d'interrogation, où la peur répond à la peur. Des nuits comme des invocations. Une nuit, quelqu'un répond à l'invitation muette, et la réponse que l'on attendait nous saisit d'effroi. Tout ça sont des mots sur une page, un verbe qui tord le cou au nom qui le précède, et ces mots sont la réalité. Les couinements des rats derrière le mur, la réalité. Le hurlement du tigre, la réalité.
Plus jamais de sommeil, plus jamais de repos, juste un engourdissement.
Une narcose.
C'est le règne de la terreur.
2 commentaires:
"Ne reste que le vent qui souffle et la main de Pan qui se referme sur le coeur."
Beauté de l'effroi. Magnifique Fauna, mon Amie.
C'est bien la première fois qu'un espace virtuel me retient si longtemps.
'Teatime With A Faun', a-t-on jamais vu titre plus élégant ?
Et moi qui me pensais la dernière Préraphaélite ! Voila un beau soufflet a ma prétention. Mais je ne saurais en vouloir a l'auteur , que je ne connais guère mais dont la prose et les références m'ont remplie d'une joie familière.
Nos univers sont si proches et les memes vieux maitres semblent veiller sur nous.
Recevez mes hommages , dame Fauna.
Mademoiselle M.
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